Comment garder toute son objectivité quand un album attendu depuis presque quinze ans apparaît de manière aussi inopinée ? Avec une technique de communication largement similaire à celle adoptée par Beyoncé il y presque un an jour pour jour, Black Messiah est sans doute l’album de l’année, et même peut-être celui de la décennie. Le troisième album studio de D’Angelo se veut résolument politique et au vu des récents développements de l’actualité américaine, nul doute qu’il tombe à poing nommé. La communication adoptée par l’équipe de D’Angelo abonde en tout cas dans ce sens (affiches placardées dans Brooklyn et Soho reprenant la partie la plus engagée du texte de « The Charade »). Pur hasard ?
Mettons de côté l’affect et la subjectivité émotionnelle pour nous concentrer sur les faits : Au terme d’une dizaine d’écoutes en boucle depuis la sortie en ligne de cette version numérique, voici ce qu’il en ressort : On connaissait déjà plus ou moins 6 titres de Black Messiah, entre les versions jouées sur scène depuis 2012 et la démo de « 1000th Deaths ». Restait à découvrir 6 autres titres à découvrir dans leur intégralité. Les sonorités sont proches de celles d’A Love Surreal de Bilal. Questlove nous avait promis un côté plus rock, il n’a pas menti. Cependant, cette couleur n’apparaît pas sur l’ensemble d’un album peu homogène (ce qui n’est pas une critique). On distingue clairement une différence entre les morceaux de la Face A (titres 1 à 5) et ceux de la Face B (titres 6 à 12). Les premiers sont clairement ceux qui se détachent le plus, bien que ceux de la Face B soient occasionnellement très bons.
Black Messiah titre par titre
- La version studio d’ « Ain’t That Easy » colle à celle déjà entendue en live il y a deux ans. Le mix de la batterie, des guitares et des percussions est vraiment bien rodé, tout comme d’ailleurs l’ensemble du mix de l’album. Chapeau bas Mr. Russell Elevado ! Le background sonore des 17 premières secondes du morceau renvoie évidemment au morceau introductif de Voodoo il y a 15 ans : « Playa Playa ».
- « 1000th Deaths » est peut être, dans les sonorités, le titre le moins abordable de l’album. Introduit un discours de Preacher, le titre s’oriente progressivement vers des ambiances P-Funk et rock. La version démo leakée sur les réseaux sociaux depuis quelques années laissait cependant entrevoir quelque chose de bien meilleur encore…
- Le très Princier « The Charade » est un des titres les plus forts de l’album. Découvert en live lors de sa tournée come-back, ce titre comporte un discret riff de sitar qui relève une production typée Minneapolis Sound. Une fois encore, on retrouve la patte D’Angelo dans le mix des voix et de la basse, sans pour autant retomber dans les ambiances Voodoo.
- Dévoilé dimanche, « Sugah Daddy » est le titre le plus uptempo et funky de l’album – Pino Palladino entre clairement dans la case « Bassistes extra-terrestres » : mais est-ce vraiment un scoop ? La version studio de ce titre crédité à D’Angelo, Pino Palladino et James Gadson (paroles de D’Angelo, Q-Tip et Kendra Foster) n’est pas surproduite non plus. L’arrangement des cuivres, de leurs effets et le mix des guitares font clairement de ce titre une réussite dans sa version studio.
- « Really Love » est sublime. Un temps désignée comme premier single, cette ballade aux accents hispaniques déjà connue par beaucoup dans sa version démo et live transfigure le genre. Les arrangements de cordes accompagnent un ensemble dominé par un épatant mix des voix, de la walking-bass et des guitares de Mark Hammond et Isaiah Sharkey. Dans la lignée d’un « When We Get By », en beaucoup mieux
- « Back To The Future I » et « II » font écho à « Really Love » en reprenant ses cordes. Le groove et le beat rappellent parfois « Chicken Grease » sur les couplets. La deuxième partie du morceau ressuscite également « Left And Right » et les effets reverse renvoient directement à Voodoo.
- « Till It’s Done » rappelle également certaines productions de Voodoo, les guitares bien plus présentes en bonus. Les trente dernières secondes du morceau sont un réel plaisir auditif.
- Les sonorités sont plus complexes sur « Prayer ». Une cloche ultra-présente et un synthé psychédélique donnent du corps au morceau avec, une nouvelle fois, une guitare assez en avant. Très réussi !
- « Betray My Heart » est également très bien produit, mais dans l’ensemble, voici certainement le morceau le moins novateur de l’album. Avec sa walking-bass et son esthétique très latine, il renvoie lui aussi à « Spanish Joint», sur Voodoo. Les cuivres très RH Factor contribuent cependant à l’envol du morceau dans sa dernière partie.
- « The Door » est le titre le plus acoustique de Black Messiah. Avec ses sonorités bluegrass/Dixie/New-Orleans, ce morceau apporte une touche intéressante à l’album, sans pour autant transcender le genre. Peut être qu’une version live pourrait s’avérer intéressante,. On imaginerait presque le groupe entier siffler le thème du refrain en ping-pong avec l’auditoire…
- Enfin, la version du studio d’ « Another Life » est à la hauteur des espérances. Le sitar jouée à l’époque en live par le regretté Jef Lee Johnson est présente sur le morceau, tout comme le jeu très laidback de Chris Dave. Le falsetto légèrement réverbéré de D’Angelo est exquis, tout comme le thème final du morceau. LA ballade de l’album, comme avait pu l’être « How Does It Feel » sur Voodoo. Une très belle façon de conclure un album que tout le monde attendait impatiemment depuis 14 ans.
En conclusion, Black Messiah n’est pas aussi révolutionnaire que son prédécesseur, mais il est magistralement aussi bien produit et marque une rupture dans la continuité : les fans de la première heure et les aficionados d’un son plus contemporain s’y retrouveront. D’Angelo prouve pour la troisième fois qu’il peut prétendre à l’héritage de Marvin Gaye, Curtis Mayfield ou Sly Stone. Sont venus s’ajouter à la liste : Prince, les Beatles et George Clinton.
On se souviendra aussi qu’en 2014, le 25 décembre était exceptionnellement tombé dix jours plus tôt.
Jim Zelechowski
D’Angelo and the Vanguard Black Messiah**** (Jive/RCA/Sony). Disponible en version numérique sur toutes les plateformes légales. Version CD disponible à partir du 17/12. Double vinyle annoncé pour le 10 février.
Très bon album.
Pour la révolution musicale annoncée, on cherche encore la relève.
Désolé…Mais personnellement, je préfère l’univers musical de Bilal ou Van Hunt…Et Prince dans tout ça, depuis l’an 2000, combien de (bons) titres nous a t-il sorti?… Plus de douze en tout cas…