-« Bon, OK les gars, je veux bien vous jouer un petit quelque chose, mais à une seule condition : pas question que mon nom figure sur la pochette ».
-« T’inquiète, t’inquiète… Quand tu veux, Jimi ! »
Voici, en substance, le dialogue rapporté sur la treizième plage de You Can’t Use My Name, première anthologie officielle des enregistrements 65-67 de Jimi Hendrix pour Curtis Knight est ses Squires. Compagnon des années de galère, le chanteur rhythm’n’blues recueille celui qu’on appelle encore Jimmy Hendrix lors de sessions et de concerts épisodiques au mitan des sixties. Suite à une bévue – involontaire et sans doute naïve – du guitariste, Hendrix, déjà signé par le label Sue, paraphe un deuxième contrat d’exclusivité avec PPX, l’enseigne du producteur Ed Chalpin. Boulette…
Un demi-siècle plus tard, on recense près d’une centaine de compilation publiées et overdubées par des aigrefins où le nom de l’accompagnateur est écrit plus gros que celui de l’artiste principal. À l’époque, certains avaient même confondu les enregistrements margoulins d’Ed Chalpin avec Axis : Bold As Love, qui allait sortir quelques semaines plus tard. Clearés depuis par le label Experience Hendrix et nettoyées par Eddie Kramer, ces bandes sont aujourd’hui replacées dans leur contexte historique.
Qu’y entend-on ? Treize honnêtes sélections R&B où le jeu de Jimi Hendrix, bien que ne bénéficiant pas encore du fuzz psychédélique des Marshalls, exprime déjà sa flamboyance. Le futur auteur d’Electric Ladyland éclabousse un peu partout partout dans « Knock Yourself Out (Flying On Instruments) », délivre de splendides licks Curtis Mayfieldiens (« Fool for You Baby ») et grave les premières ébauches de son blues cosmique (« Don’t Accuse Me », « No Such Animal »). You Can’t Use My Name propose également en plage finale,« Gloomy Monday », un essai soul-rock capturé lors du retour incompréhensible d’Hendrix en studio aux côtés de Curtis Knight, en août 1967, soit en pleine procédure d’un procès qui se conclura par l’enregistrement contractuel du fantastique Band of Gypsies. D’une valeur historique certaine, ces enregistrements raviront les complétistes qui ne manqueront pas de placer ce nouvel objet tout près du coffret récapitulatif West Coast Seattle Boy (2010) dans leur Hendrixothèque.
Jacques Trémolin
Jimi Hendrix Curtis Knight & The Squires You Can’t Use My Name, The RSVP/PPX Sessions (Sony Legacy). Disponible en CD, LP et version digitale le 23 mars.