Louis Johnson, le légendaire bassiste tellurique de la grande saga soul-funk, nous a quitté cette semaine à l’âge de 60 ans. En 1997, Funk★U Magazine consacrait la couverture de son sixième numéro aux Brothers Johnson. L’occasion pour Wonder B. de passer cinq heures avec Louis Johnson pour une interview épique dans son domicile de Los Angeles. Lecture longue, mais indispensable !

 

★★★★★★

Funk-U 2The Brothers Johnson ! Deux frères devenus célèbres en l’espace d’un album avec l’appui du sorcier des studios, Quincy Jones. Mais l’une des moitiés du groupe eût une influence plus importante que l’autre, tant sur les musiciens que sur le plan visuel dans les shows du groupe. Virtuose incroyable de la basse, et maître d’une technique de ‘slap’ tout à fait personnelle qui lui permit d’être surnommé ‘Thunder Thumb’ (pouce d’éclair!), il ne tarda pas à devenir un des musiciens de studio les plus recherchés de la planète. Il conciliera ainsi carrière personnelle et apparitions sur quelques-uns des albums les plus marquants de l’histoire de la musique noire jusqu’au milieu des années 1980, lorsque sa collaboration avec son frère cessa.

Depuis, il continue à participer aux sessions d’enregistrement, et a ouvert une « Bass Academy » qui mérite le détour pour tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin aux quatre cordes. Ce bassiste extraordinaire et cet homme d’une rare gentillesse, c’est bien sûr Louis Johnson. J’ai eu le privilège de le rencontrer une belle après-midi de mars, chez lui où, parti pour une interview d’une heure, je ne pris congé qu’après plus de cinq tours de cadran d’entretien! Voici quelques extraits de ce marathon. George Johnson né le 17 Mai 1953 à Los Angeles, est l’aîné des deux frères. Louis, son cadet, a vu le jour le 13 Avril 1955. George a commencé à jouer de la guitare vers l’âge de sept ans en même temps que Louis faisait ses premières gammes sur la basse, deux instruments offerts par leurs parents comme cadeaux de Noël. Mais laissons plutôt Louis se rafraîchir la mémoire :

Louis Johnson : Nous avons grandi dans un quartier chaud, précise-t-il. Mon père, Joseph T. Johnson, nous a construit une guitare pour George et pour moi dans le but, je pense, de nous éviter de faire des bêtises. On a donc commencé à faire de la guitare. On écoutait la radio tous les jours avant de nous rendre à l’école. On écoutait absolument tous ce que notre père écoutait, jazz, blues, Motown…même des stations qui ne passaient pas de la musique noire. Il avait des goûts très éclectiques, et c’est comme çà que j’ai commencé moi aussi à aimer toutes les musiques. J’absorbais tout. J’étais encore à l’école primaire quand on a monté notre premier groupe appelé The Johnson Three. Il y avait mon frère Tommy, George et moi. Tommy avait une batterie très simple avec juste une caisse claire et une cymbale ! (Il se met à rire comme un fou) George et moi nous partagions la guitare. On jouait quand on avait des breaks entre les classes. Je jouais les trucs des Monkees, ‘I Wanna Hold Your Hand’ des Beatles, ou encore ‘Yesterday’. Mais ce qu’il y a de drôle, c’est que lorsque j’écoutais la radio, je jouais la ligne de basse sur la guitare. De temps en temps, je faisais des accords, mais si c’était compliqué alors je jouais juste la basse.

D’ailleurs, la première fois que j’ai pris la guitare, j’ai joué en pinçant et tirant les cordes une par une. C’était déjà naturel. George lui faisait plutôt les accords et pas les basses. Je faisais les deux. Les profs qui m’entendaient ont trouvé çà bon et m’ont demandé de venir à l’église. Ça a été la première grosse honte de ma vie! Je suis allé à l’église, c’était en plus un Dimanche spécial genre Pâques, je me suis retrouvé avec d’autres guitaristes et l’on m’a juste dit ‘Joue!’ Mais que pouvais-je faire, je n’allais quand même pas leur jouer les Monkees! (Rire délirant!) Et j’ai fini par jouer un truc que j’avais composé lors de ma première année à l’école, à propos d’une nana que je trouvais super et qui s’appelait Donna Johnson. J’en étais tellement croque que je n’avais rien fichu cette année là. Le dicton dit ‘Un homme doit toujours avoir une femme’, et depuis cette époque elles ont toujours été ma plus grande source d’inspiration.

Plus tard, mon cousin Alex Weir nous a rejoints. Il joue de la guitare. Il a d’ailleurs joué avec les Talking Heads et d’autres groupes. On avait alors deux guitaristes, moi à la basse, et Tommy s’était enfin procuré une vraie batterie. On a joué dans des bals de fin d’année, dans des compétitions de groupes. Puis nous avons fait ‘Soul Search’ sur KGFJ, une radio black du Sud de la Californie. Il y avait un jury composé entre autres de James Brown, des 5th Dimension qui étaient très populaires à l’époque, et un contrat d’enregistrement à la clé. La première fois on s’est planté, mais la seconde nous avons gagné un contrat avec Venture Records. C’est Bobby Womack qui a produit notre première chanson qui s’appelait ‘Testify’ entre 1967 et 69, je ne me rappelle plus très bien. C’est Tommy qui chantait dessus. C’est sorti en tirage limité et on a tout vendu! J’étais encore jeune, mais pas complètement idiot. J’ai dit au gars du studio, ‘Hey, si t’as besoin d’un bassiste, donne moi un coup de fil!’. Les Jackson 5 n’étaient pas encore sortis à l’époque. On avait un peu le même genre de popularité qu’ils allaient acquérir. Quand on jouait dans les lycées, ça faisait des émeutes! Partout! C’était super. On était ‘Bad’! Les autres groupes avaient peur de nous. On gagnait tous les concours. J’ai d’ailleurs joué dans mon lycée avant même que j’y soit en tant qu’élève ! (Rires énormes).

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Wonder B : Mais tu slappais déjà?
Louis Johnson : Comme je te l’ai déjà dit, c’est même comme çà que j’ai joué mes premières notes. Et puis en jouant normalement, c’est quand même limité. Alors c’était juste une évolution, un nouveau palier. Ce n’était pas quelque chose que j’avais calculé. Mais à force de jouer, l’étendue des possibilités finit par se restreindre. Alors naturellement tu passes à un autre niveau.
D’ailleurs, quand j’ai commencé à slapper, ce n’était pas la raison pour laquelle on me remarquait. J’étais le seul à faire çà, je le faisais surtout à la maison. Mes parents devenaient dingues : ‘Tu vas arrêter de faire ce bruit!’ Mais je jouais toute la journée! (Il fait des onomatopées pour décrire le son percussif permanent qu’il assénait à ses parents!) Je ne l’ai jamais fait au sein des Johnson 3  sur scène. Puis quand on a rejoint le groupe de Billy Preston, God Squad, j’ai slappé une fois sur scène, mais Billy n’a pas vraiment apprécié et m’a dit : ‘Ne refais pas çà, çà attire trop d’attention!’

Wonder B : Mais à ce moment pourtant, c’était un son qui commençait à devenir populaire à travers Sly & the Family Stone.
Louis Johnson : Tout à fait. D’ailleurs lorsque nous avons commencé à prospecter pour un contrat après avoir quitté Billy Preston et formé Bros. Johnson, les gens disaient : ‘Tu joues comme Larry Graham.’ Mais je ne joue pas comme Larry Graham. Je joue comme moi. (Rires) Bon, il était plus vieux que moi. Alors je disais ‘Je n’ai jamais vu Larry Graham, j’ai entendu parler de lui, mais ce que je joue, je l’ai inventé moi-même’. J’ai commencé à jouer sur pas mal de sessions d’enregistrement dont personne n’a entendu parler. Et puis un jour on a fait une session avec Taka Boom. (La soeur de Chaka Khan) Et elle a amené la bande d’enregistrement à Quincy Jones qui s’est écrié : ‘Qui est le bassiste?!’ C’est comme çà qu’un jour, j’ai reçu un coup de téléphone : ‘Allô, ici Quincy Jones, pourrais-tu passer à ma maison?!’ . Alors George et moi y sommes allés et après avoir joué pour lui, il m’a dit qu’il n’avait jamais rien vu de pareil. Il connaissait pourtant Larry Graham, mais il n’avait jamais vu çà! Alors il nous a invités à venir avec lui en tournée au Japon. C’était la première fois que les Japonais voyaient quelqu’un slapper la basse. Ça les a tués ! Ils ne savaient pas comment réagir! Plrickity Plrickity Pop Pap Bam (C’est que j’ai pu trouver de mieux pour rendre les bruits qu’il fait!) Alors à Tokyo, dans sa chambre, Quincy m’a dit : ‘Tu joues incroyablement bien et tu as des chansons, est-ce que tu veux faire un album ?’. Bien sûr, j’ai dit oui tout de suite. Mais il a ajouté : ‘Mais il faut le faire avec ton frère.’ J’ai dit non, je ne veux pas jouer avec lui, je veux faire un album solo!!! (Gros rires) J’aime mon frère mais justement on est frères!! Il y a trop de compétition! Quincy a alors dit : ‘Je vous ai rencontrés ensemble. Je ne sais pas si tu es bon et lui mauvais ou quoi, je m’en fiche, si vous voulez faire ce truc, faites le ensemble.‘ Et quand l’album est sorti, il s’est vendu par millions. Les gens ont flippé. Succès instantané. J’ai perdu toute ma vie privée en un clin d’oeil. Je ne pouvais même plus sortir faire mes courses. J’étais comme en cage. Plein de filles qui voulaient m’approcher. J’avais été marié jeune, alors c’était complètement dingue. J’ai acheté une maison avec jacuzzi, une Cadillac, bref on vivait le grand train.

Quincy Jones est resté notre producteur sur les quatre premiers albums. Plus tard, il a été de plus en plus difficile de satisfaire la maison de disques. A cause des nouveaux instruments qui sortaient, de la nouvelle musique etc. C’est ainsi qu’ils ont choisi l’option qu’ils avaient dans le contrat de ne plus faire d’albums avec nous. Ça a été la fin des Bros. Johnson. C’était en 1984. On ne s’est donc pas arrêté à cause de conflits entre George et moi, car je sais que les médias ont monté çà en épingle, mais vraiment ce n’était rien du tout. George ne me hait pas, je ne hais pas George, mais le fait est que lorsque l’on travaille avec sa famille, c’est difficile. On n’est pas Donny et Mary Osmond ! (Rires énormes). On parle de vraie vie ici ! (Rires monstrueux) On a vraiment raconté trop d’âneries là-dessus. Oui, on a eu quelques querelles, mais çà allait bien le reste du temps. Bref, des frères normaux.

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The Brothers Johnson


Louis Johnson : Quand les Brothers Johnson ont marché, on a commencé à passer dans Soul Train, et toutes les grandes émissions. De plus j’ai été très sollicité pour des sessions en studio.

Wonder B : Oui, je me rappelle un de mes morceaux préférés sur le premier album de Side Effect : « What The Heck Let’s Discotheque! »
Louis Johnson : (Rires énormes) Ah tu te souviens de çà?! C’était vraiment puissant!

Wonder B : Et en plus tu es cité sur la pochette avec ton surnom ‘Boots’.
Louis Johnson : Oui c’était un surnom qui m’avait été donné par ma grand-mère et l’histoire, c’est que quand j’étais bébé, je crapahutais à quatre pattes avec mes mains dans les chaussures des autres! C’est pour çà que je m’appelle Boots ! Et puis quand on est devenus connus, elle a changé l’histoire en : ‘Non, je t’ai appelé Boots parce que tu as de la soul!’ (Rires énormes) Le surnom de George est ‘Hen’ (N.D.A. : Poule!) Mais je crois qu’il l’a eu à cause de son deuxième prénom qui est Henry. Mais ma grand-mère dit qu’il l’a eu à cause des poules!!! (Rires monstrueux!) Pour redevenir sérieux, j’adore Quincy Jones et je rends hommage à mon frère et à A&M notre label, et je veux dire merci à Dieu pour avoir fait de ma vie un miracle. Je vis un miracle permanent. Tous ces gens qui sont intéressés par les Bros. Johnson, c’est incroyable. Le groupe s’est reformé alors que j’avais déménagé au Japon et que j’avais créé ma ‘Bass Academy’. J’adore enseigner. J’ai d’ailleurs formé un groupe avec des musiciens que j’enseignais et qui s’appelait Cats. On jouait du funk, du jazz, du rock, de tout. J’avais aussi un groupe purement jazz, The Royal Horse. Je jouais aussi avec Jun Yamagichi qui est un guitariste célèbre là-bas et on a fait un groupe avec lui et sa femme. On a fait même des shows où je commençais par ‘The Dude’ (de l’album de Quincy du même nom) et les trucs que j’avais fait avec Grover Washington, Michael Jackson, Earl Klugh etc. En fait on m’a donné carte blanche pour jouer ce dont j’avais envie. A cette époque (vers 1988), j’écoutais pas mal de pop, et un groupe en particulier, les Sugarcubes. Et aussi Robert Smith avec The Cure. J’aime aussi beaucoup Sting. Mais quand j’ai filé la liste des titres que j’allais jouer au promoteur, il m’a dit ‘Mais personne ne va comprendre ici!’ C’est pour çà que j’ai été plus raisonnable.

Puis il m’explique pourquoi je ne vois pas de disques d’or aux murs du studio. En fait, il en a gardé quelques uns qui ornent les murs de sa propre compagnie de management, et il en a donné pas mal d’autres, car il n’apporte pas tellement d’attention à toutes ces choses matérielles.

Louis Johnson : Je n’ai pas besoin de montrer à tout le monde ce que j’ai fait. J’en suis fier, mais je n’en fais pas un fromage ! Voilà un peu l’histoire des Bros. Johnson. Mais je suis très heureux d’avoir contribué à tous les albums sur lesquels j’ai été invité. Je me rappelle la première session pour laquelle j’ai été engagé. C’était pour un album de Grover Washington Jr. Je n’étais encore qu’un gamin et pourtant ils m’ont fait venir à New-York en avion tout seul ! J’étais sous le choc, j’avais les jetons, je ne savais pas quoi penser. Il y avait quelqu’un pour m’attendre à l’aéroport heureusement! On m’a mis dans la suite d’un hôtel, le grand jeu. Quand je suis arrivé dans le studio ce soir là, tout le monde m’a regardé avec un drôle d’air. Ils essayaient de m’intimider. Il y avait là le gratin : Bob James, Eric Gale, Steve Gadd, Spider Webb. Ils étaient en train d’accorder leurs instruments. Et j’ai fait de même en attendant. Ils ne m’ont pas vu faire grand chose d’extraordinaire, alors ils ont pensé que je ne valais rien !

Grover s’est pointé et m’a fait un solo de sax dans les oreilles! Et je me suis tourné en lui demandant ce qui lui prenait! Et puis j’ai pensé que c’était pour voir ce que j’avais dans le ventre. Alors j’ai pensé ‘Ah ouais, tiens prend çà’! (là il se met à slapper comme un malade la basse qui est sur ses genoux depuis le début de l’entretien! Inutile de dire que c’est absolument monstrueux!) Et tout le monde s’est écrié qu’ils n’avaient jamais vu çà avant! Alors Grover m’a dit : ‘Est-ce que tu peux faire çà’ (petit riff). Alors, je lui ai dit : ‘Est-ce que tu peux faire çà?’ (il se remet à slapper) (Rires énormes). C’est comme çà qu’on est devenus amis. On a dû faire au moins 10 chansons ce jour là. En rentrant à l’hôtel après, j’ai eu un coup de téléphone du label qui me disait qu’ils étaient vraiment contents de ce que j’avais fait. Ils m’ont même demandé de jouer sur scène avec Grover, de faire partie de son groupe. Mais on venait de faire le premier album, alors j’ai du décliner l’invitation. C’est alors qu’ils m’ont dit que çà leur posait un problème car ils ne connaissaient personne capable de jouer les parties de basse que j’avais faites pour accompagner Grover sur scène! (Rires monstrueux).

Wonder B : Quel était l’album en question?
Louis Johnson : C’était « Feels So Good ». Une des autres expériences marquantes dont je me rappelle fût une session avec Sergio Mendes. J’adore Sergio, en tant qu’individu, sa maison et son studio aussi, et tout ce qui tourne autour de lui. C’était vraiment différent de Quincy Jones, de Stevie Wonder, de Paul McCartney de toutes les personnes avec qui j’ai eu l’occasion de travailler. Sans parler de sa musique. Sa maison est à Encino (très près de la maison de Louis) et pourtant on est dans un autre monde. J’ai donc fait cet album « Home Cookin » pour lui. Avec Paul McCartney, c’était pour l’album « Give My Regards To Broadstreet ». Il faut que je dise que de tous les artistes avec lesquels j’ai eu l’occasion de travailler, Paul McCartney est celui qui fût à la hauteur de l’idée que je me faisais de lui. On a tous une certaine idée des gens, on les idéalise, et Paul était tel que je l’imaginais. Quand j’étais gamin, je jouais ses chansons et quand on imitait les Beatles, je faisais toujours Paul ! (Rires gargantuesques… Louis a un rire à nul autre pareil, extrêmement communicatif et très ‘loud’!). J’essayais même de prendre son accent et là je dois dire que j’étais assez mauvais ! Alors quand j’ai rencontré Paul, c’était magnifique. Il faisait une session avec Michael Jackson pour « The Girl Is Mine », et il se baladait partout avec son camescope et quand il est venu me filmer, j’ai commencé à jouer « Silly Love Songs », l’un de ses tubes. C’est quelqu’un de foncièrement gentil, toujours positif. Il n’a jamais eu que de bonnes paroles pour moi. Quand je suis allé le rejoindre en Europe j’ai passé 18 jours avec lui, et c’était tellement merveilleux que je ne voulais plus partir. On a même joué à des jeux vidéo ensemble (je suis un malade de ce genre de trucs). Je sentais qu’il m’appréciait vraiment, sans chichis. J’ai joué avec Michael Jackson et il m’aime bien aussi, mais c’est plutôt le genre poli, tandis que Paul est vraiment très simple et c’est vraiment un pote. La seule chose qui fût dure pour moi quand je suis allé là-bas, c’est que je venais de suivre un programme de réhabilitation antialcoolique juste avant, car je buvais beaucoup. J’avais commencé à boire dès que j’ai commencé à jouer. Je buvais surtout de la bière et du vin, pas de liqueurs ou d’alcools forts. Et puis j’ai développé une tolérance très forte à tel point que je ne pouvais plus m’en passer. Alors quand je suis arrivé dans ma chambre en Angleterre et que j’ai vu un énorme panier avec des fruits, des bouteilles de vin, des fleurs… C’était magnifique. J’ai été obligé de leur dire que je venais d’arrêter de boire! (Rires) Je me sentais un peu honteux car c’était un cadeau de Paul, mais bon…

En Europe, les gens me reconnaissaient dans les magasins de disques ou j’allais et j’ai vraiment apprécié leur contact. C’est comme le fait que tu viennes jusqu’ici pour l’interview, c’est vraiment sympa.
C’est à ce moment de ma vie que j’ai redéfini mes priorités et que je suis revenu vers la Bible et Dieu. Pour moi, ce travail avec Paul, c’était quelque chose de sérieux qui me remettait sur les rails. J’ai complètement changé ma façon de vivre. Plus de soirées, de beuveries. J’avais composé une chanson pour Paul dans son style quand j’étais plus jeune, je lui avais fait écouter, et il l’avait aimée. Je l’ai d’ailleurs chantée sur scène avec les gars du groupe Toto. Alors Paul, si tu lis ces lignes, j’ai encore la chanson et je suis sûr que çà ferait un tabac, contacte moi! La dernière fois que j’ai été en contact avec Paul, c’était en 1990 quand j’ai commencé à faire ces vidéos de cours de basse. J’en ai fait deux en solo et puis après j’ai dit aux gars de Star Licks, qu’il y avait d’autres super bassistes et qu’il fallait aller les voir. C’est comme çà qu’ils m’ont demandé de voir si Larry Graham serait intéressé. J’ai été le voir dans l’église où il officiait (il a prêché pendant quelques années) et je lui ait dit : ‘Larry, tu es un célèbre bassiste…’ et il m’a répondu : ‘Ah bon? »‘… (Rires) ‘Si, si! Et il y a des gens qui se souviennent de toi et qui veulent faire une vidéo. Tu as une influence sur un grand nombre de gens et tu devrais la faire.’ Alors après j’ai réuni des gens comme Nathan East, James Jamerson Jr., Neil Stubenhaus, Abraham Laboriel, Freddie Washington, même Verdine White. Bref, la crème! Ils ne le croyaient pas. Mais je suis en contact avec tous ces gens. En plus la compagnie pensait que ce serait impossible de les réunir tous en même temps. Mais j’ai réussi! Et on a fait trois vidéos d’enfer. J’avais aussi appelé Paul, mais il m’a demandé qui serait dessus et il m’a dit ‘Mais je vais être le seul blanc là-dessus!’ (Rires) En fait il ne pouvait vraiment pas car il était sur un autre projet à ce moment.

À cette époque, on m’a diagnostiqué une maladie qui découlait de l’absorption d’alcool excessive dans ma jeunesse. Une maladie très rare qui au lieu de toucher le foie comme d’habitude pour les buveurs, touchait mon système nerveux. Tous les médecins que j’ai vu me donnaient deux ans au maximum, la maladie étant incurable. J’ai pensé que c’était fini et puis je suis encore là. Après avoir beaucoup prié, Dieu m’a donné une seconde chance. C’est un vrai miracle. Je suis retourné chez mon père dans l’Indiana. Depuis le début des années 1990, je consacre pas mal de temps à la fabrication de basses et de guitares qui portent ma signature. Flea des Red Hot Chili Peppers a été un des premiers. Et puis Mark White des Spin Doctors a suivi. Ce n’est pas un trip d’ego pour que je voie mon nom sur les basses! C’est vraiment mon idée! J’ai vraiment fait une basse pour les slappeurs. Tu vois, j’ai créé cette encoche sous les aigus pour ne pas taper le corps de la basse quand tu slappes. En plus TREKER (la marque sous laquelle sont vendues ses basses) a conçu un système qui enlève toute tension et torsion du manche permettant ainsi un sustain fantastique… Je vais te montrer un secret. Les bassistes jouent sur les manches. Moi aussi, mais tu vois les usures là au dessus des micros? Ben moi je joue aussi là! (Rires) Oui, oui.

Wonder B : Bon, là il faut que je te pose une question. Avec des amis on regardait ta vidéo et on s’est dit : « C’est impossible de refaire ce que fait ce type car on n’a pas les mêmes doigts! On voyait ton pouce qui barrait tout le manche! Et puis ton majeur qui est incroyablement long aussi! Alors montre-moi ta main car pour nous tu es un extra terrestre !

Louis Johnson : (Rires) Bon, c’est vrai que j’ai de grandes mains. Mais le secret c’est le slap-choke où tu étouffes la corde juste après l’avoir tapée. Et puis tu combines. Ici, dans mon Académie de Basse, on apprend tout çà. Par exemple Larry Graham ne fait pas çà. (Il me fait une démonstration de trucs complètement démoniaques!) Il faut une parfaite coordination. C’est grâce aux Arts Martiaux. J’ai développé une technique appelée ‘Black Dragon’ en 20 ans de pratique. Très agressive. (Là, il rentre dans des explications d’images de techniques de combat avec les similitudes avec la basse) On enseigne la funkologie aussi… Nous sommes vraiment en phase!. Tu vois, on étudiait hier « Chocolate City » de Parliament!!! (Il se met à chanter le morceau!) On apprend aussi la construction des instruments, l’écriture, tout ce qui se rattache à la musique. Tu peux le dire à tes lecteurs. Il y a des gens qui viennent de partout, même du Japon.

Wonder B : As-tu déjà joué avec George Clinton?
Louis Johnson : Oui, j’étais dans le studio quand ils faisaient « Mothership Connection ». Et aussi quand ils ont enregistré « Starchild », ils n’ont pas mis mon nom sur l’album, mais j’étais là. En plus, on a tourné avec eux lors de le la sortie du Mothership. Regarde la prochaine leçon, on va étudier « Good To Your Earhole »! Pour çà, j’ai développé un langage spécial qui permet à quiconque, de quelque origine qu’il soit, de comprendre sans savoir le solfège. Ça s’appelle « The Secrets Scrolls Of Funk ». L’écriture est différente et permet même aux débutants de jouer et d’apprendre beaucoup plus vite. C’est la première fois que l’on approche l’instrument de cette façon.

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Louis Johnson terrassé par son propre slap sur la scène de Mogador en 1980

Wonder B : Je me souviens du concert des Bros. Johnson à Mogador au début des années 80. Tu as joué tout le concert avec une moufle en peau de mouton. Pour le solo tu l’as enlevée et tu as slappé comme un fou pendant 10 minutes, seul avec le batteur, et puis on t’a emmené sur une civière et tu es revenu avec les doigts entourés de chatterton!
Louis Johnson : Ouais. Je joue jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Parce que quand je fais un solo je retiens mon souffle, alors forcément à la fin je commence à me sentir mal ! Mais quand je joue je me donne au maximum, et ça fume ! Aujourd’hui les gars font des soli mignons, ils ne se décoiffent pas! Moi, je suis un guerrier quand je joue. C’est ce que j’apprends à mes élèves.
Pour revenir à la fabrication, j’ai aussi commencé à faire des guitares. (Il se met à slapper sur une guitare!!!)

Wonder B : Alors là, c’est hallucinant! Comment ne t’arraches tu pas la peau des doigts en tirant comme çà sur les cordes d’une guitare? C’est du jamais vu!
Louis Johnson : Là, il faut de l’expérience. Et si tu ne l’as pas vu, rappelles toi « Get The Funk Out Of My Face ». C’est moi qui joue de la guitare dessus, contrairement à ce que tous les gens croient, et je slappe sur une guitare. La plupart du temps je jouais les parties de guitare les plus difficiles au sein des Bros. Johnson. Tu vois mon nom sur les crédits de guitare. Je ne veux pas dévaloriser mon frère, mais j’en faisais beaucoup.

Wonder B : Mais beaucoup de gens ne le savent pas.
Louis Johnson : C’est vrai ! Mais tu vas pouvoir rectifier cela avec ton article !

Wonder B : Alors tu slappes la guitare (qui a 6 cordes), mais tu ne joues que sur une basse 4 cordes!
Louis Johnson : Oui. Moi je suis fidèle à la 4 cordes. Je le dis franchement comme je le pense. Les 5 et 6 cordes sont des fantaisies. Je suis un vrai bassiste, pionnier de la 4 cordes et du slap. Je ne l’ai pas inventé, mais je l’ai développé et j’ai un style qui est unique. Je ne jouerai jamais de 5 et 6 cordes, sauf sur une guitare.

Wonder B : Que penses-tu de ceux qui en jouent?
Louis Johnson : Je pense que c’est un gimmick. La seule que j’essaierai peut-être est la 8 cordes mais parce que c’est une 4 cordes doublées.

Wonder B : Oui, remarque Bootsy m’avait dit la même chose l’année dernière quand il est venu à Paris. Il ne touche pas autre chose.
Louis Johnson : Oui, je suis fidèle à mes basses comme les Saints envers Jésus ! (Fou rire monstrueux) Ça tu peux le dire au Monde. Ou alors je peux avoir un résultat plus intéressant si vraiment c’est nécessaire en désaccordant ma corde de E. C’est meilleur car on a une excellente résonance et donc un slap impeccable.

Wonder B : Mais tes basses sont-elles distribuées en Europe?
Louis Johnson : Non, d’ailleurs on cherche un distributeur, tu veux t’en occuper?! Je ne cherche pas à être célèbre pour mes basses, c’est pourquoi la distribution est encore confidentielle pour le moment. Mais je cherche un distributeur en Europe.

Wonder B : Tu as participé au « Bass Project », une série de 3 CD sortis l’an dernier au Japon, qui réunissait les plus grands bassistes. Comment est-ce arrivé?
Louis Johnson : P-Vine, le label japonais m’a contacté pour faire deux morceaux en 1995. Et il y a peu ils ont commencé une autre série « Neo Bass ». J’y suis aussi.

Wonder B : Qu’est devenu ton frère Tommy?
Louis Johnson : Il est devenu road manager. Puis il en a eu marre et est devenu pompier ! On a tous eu des boulots en dehors de la musique. Par exemple, j’ai ouvert deux vidéoclubs en 1984 ! On y vendait aussi des ordinateurs. J’ai aussi passé plus tard un diplôme en droit. Ça sert toujours dans le business musical !

Wonder B : Quels sont tes projets en ce moment?
Louis Johnson : Je veux surtout développer mon Académie, et puis je continue à faire quelques sessions. J’ai bossé pour Walt Disney récemment. J’avais d’ailleurs travaillé pour eux sur ‘Captain Eo’ le film en relief avec Michael Jackson. J’ai aussi fait le dernier album de Michael Jackson et celui de Quincy Jones. Si quelqu’un est intéressé pour sortir un album solo avec moi, j’ai un tas de morceaux prêts. J’ai au moins de quoi faire 5 ou 6 albums. Mais je ne vais pas aller démarcher pour un contrat.

Wonder B : Qu’écoutes-tu à l’heure actuelle?
Louis Johnson : Plein de trucs. Je suis assez éclectique. Björk que j’adore! Des sons naturels enregistrés dans la forêt tropicale, mais aussi Cameo, Santana qui est mon guitariste préféré avec Jimi Hendrix. J’écoute aussi Beethoven !