Après plusieurs années de silence musical (et de télé-crochets), Sinclair s’apprête à retrouver les routes de France en même temps que ses fondamentaux. Un retour aux sources de la musique de ses idoles (Prince, Stevie Wonder, The Isley Brothers…) en vue d’une renaissance artistique. Entretien avec un enfant du funk.

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Funk★U : D’où vous vient cette passion pour le funk et la soul music ?

Sinclair : La musique, c’est vibratoire. Depuis que je suis tout petit, je gigote sur de la musique ronde, et le funk c’est une musique que j’imagine sous forme de cercles. Le rock, je vois ça un peu plus pointu et l’électro, je vois ça un peu plus carré. Une étude scientifique a été faite par un japonais : un type diffusait de la musique sur des bocaux en verre dans lesquels il y avait de l’eau, et il congelait l’eau immédiatement pour voir sous quelle forme les cristaux se figeaient. En fonction des musiques, les cristaux sont complètement différents. J’aime la rondeur. Je suis très synesthésique avec la musique !

Quand et dans quelles circonstances avez-vous découvert le funk ?

Le premier album que j’ai mis par volonté sur la platine de mon père (l’ingénieur du son-producteur Dominique Blanc-Francard, NDR.) à l’âge de cinq ans, c’était That’s The Way Of The World d’Earth Wind and Fire. « Shining Star » me rendait dingue, je me roulais par terre dans l’appart, j’adorais ce morceau. À partir de ce moment-là, j’ai compris qu’il y avait un truc de spécial qui se passait avec ces musiques-là. Cet album est arrivé à la maison presque en même temps que Songs in the Key Of Life de Stevie Wonder. J’étais gamin, je m’embrouillais entre les deux vinyles (rires). Du coup, je me trompais souvent dans les faces et je ne trouvais jamais le morceau que je cherchais. Donc, j’écoutais forcément tout l’album. Mon vrai choc amoureux en musique, c’est Stevie et j’ai d’ailleurs demandé à avoir un harmonica, ce qui m’a plongé dans le désespoir le plus intense, car c’était si dur…

princeandtherevolution-paradeQuels artistes trouverait-on dans votre panthéon funk ?

Prince, Stevie Wonder, toute la clique de George Clinton, les Isley Brothers, Hendrix, même si ce n’est pas funk, Michael Jackson même si ce n’est pas forcément funk, mais en même temps il n’y a pas plus funky que lui. Moi ce que j’aime, c’est le crossover. Enfin bon, Prince number one, après, en-dessous, ce ne sont que des number two (rires) !

Quels sont vos albums cultes ?

Parade, That’s The Way of The World, Songs in the Key Of Life… C’est marrant, dès que j’arrive en-dessous, je ne trouve pas, c’est une pyramide sans socle (rires). C’est flippant, j’en ai 1 500 et je bloque… Je rajouterais quand même Sign’ O’ the Times, Mad Man Across the Water d’Elton John et on va arrêter là sinon ça prendrait des heures…

Vous avez enregistré « Work to Do » des Isley Brothers en français sur un CD promo paru en 1988. La langue française est-elle une barrière pour le funk. Juan Rozoff parle du « spectre de la variété qui plane » dès qu’on chante du funk en français.

Pas du tout. À l’époque où Nina Hagen est apparue, tout le monde pensait que l’allemand ne sonnait pas. Moi, elle me donne envie de lui sauter dessus, enfin c’est peut être mon côté sado-maso (rires). Non, je ne crois pas. Juan Rozoff a d’ailleurs prouvé à une époque que le français était chantable dans le funk. Je pense que le français Sinclair(Mathieu Blanc-Francard)est une langue que l’on doit dompter, le spectre n’est pas la variété, c’est surtout la ringardise. Pardon, mais Prince est parfois à la limite du ringard, et c’est ça le truc du génie. Le génie, c’est d’utiliser des trucs invraisemblables et d’en faire un truc hors-norme. La langue française est magnifique à utiliser avec beaucoup d’ingéniosité pour en faire de la musique. Pour moi, Claude Nougaro est un génie, tout comme Michel Berger qui, pour moi, est le premier funkateer de France. Il a été directement classé comme artiste variété, mais de la variété de très haut niveau.

Les gens sont tout à fait ouverts à toute musique qui leur fait de l’effet. Regardez Mark Ronson et Bruno Mars qui signent un des plus gros hit de l’année : c’est du funk, certes légèrement actualisé par endroits, mais ça reste du Minneapolis Sound. En France, il n’y a pas réellement de référent funk. Pour les Français, c’est presque l’équivalent du disco. La musique que j’ai faite est une musique qui existait déjà, je n’ai rien inventé, j’ai juste mélangé. Certaines choses que j’ai mélangées sont devenu « ma » musique à certains endroits, entre funk et variété, mais dans le fond, je ne suis qu’un porteur de flambeau. Depuis la fin des années 1960, on est tous des porteurs de flambeau.

On vous a aussi beaucoup comparé à Jamiroquai à une certaine époque.

J’étais très vexé par cette comparaison, j’étais jeune et con et c’était impossible qu’on me compare (rires) ! En fait, la vrai souffrance, c’est qu’à chaque fois que je touchais quelque chose de nouveau artistiquement parlant, Jamiroquai sortait son disque trois mois avant moi, et je me disais « ah, l’enfoiré ! » (rires). Mes albums étaient beaucoup moins bons que les siens sous de nombreux aspects. Je l’ai rencontré une fois, au début des années 2000, c’était une période ou il n’était visiblement pas au top dans sa vie…

Quelle est votre perception du schéma « industrie du disque / radios » d’aujourd’hui ?

À l’époque, les gens venaient à mes concerts, mais je ne vendais pas de disques. J’étais dans un schéma commercial un peu nébuleux. J’aime le crossover et durant cette période, au moindre petit signe de baisse de ventes, ou dès qu’une radio ne rentrait pas le single, tout s’arrêtait, un peu comme aujourd’hui en fait… Je pense que la puissance des radios est le fléau d’une industrie musicale qui, en même temps, est tellement submergée de demande. Tout le monde est musicien et chante, c’est le bordel. On ne peut pas lutter, on a perdu la guerre en France face à la musique américaine, on n’a pas les moyens de faire ce que font les anglo-saxons. C’est un business, les radios ne vendent pas de la musique, ils vendent de la publicité. Avec Internet, ça change légèrement, mais je ne crois pas aux choses qui nous sont imposées par la force. Les gens qui écoutent les grosses radios sont des gens qui écoutent de la musique pour ne pas s’endormir et qui ne savent pas que la musique est quelque chose qui peut se chercher. Ce sont des gens qui se mettent la gueule ouverte sous un robinet et qui consomment ce qu’on leur file, basta cosi.

Vous partez sur les routes de France présenter au public un live 100 % funky avec des reprises, vos hits et des nouveaux morceaux. Quel est le but de cette nouvelle tournée ? Avez-vous quelque chose à prouver ? 

J’ai passé sept ans à ne pas faire de concerts, pour faire une introspection et aussi pour revivre, et avoir à nouveau des choses à raconter. J’ai laissé la scène de côté beaucoup trop longtemps. J’ai failli y retourner à l’époque de l’album Warner (Sinclair, 2011 NDR.) qui n’a pas marché, car derrière il n’y avait aucune envie sincère, je ne croyais en aucune des paroles de ce disque. On m’a proposé ensuite une tournée des Zéniths et j’ai dit oui, mais ce n’étaient que des mauvais choix, du bidon, du faux. Au final c’est un mal pour un bien, même si cet album aurait du rester dans les tiroirs. C’est un peu comme si j’avais traversé une longue période d’alcoolisme ou de dépendance à la drogue et qu’en plein milieu, je me suis dit « c’est bon, tout va bien », alors que j’étais au plus mal. Après cet album, je suis retombé très vite dans un gouffre et j’ai quitté ce costume qui ne m’allait plus du tout. Aujourd’hui, je pars dans l’idée de reconnecter avec l’essence même de mon métier, de ma passion : la scène, la musique.

J’ai aussi décidé de partir sur les routes sans avoir rien à vendre. Je n’ai pas d’album en prévision, bien que de nombreux morceaux soient bien au chaud dans mon studio. Faire un album, ça ne vaut le coup que si les gens te le demandent, on va essayer de raviver cette demande. Je fais des concerts comme des évènements champignon un peu partout, avec un nouveau groupe où on trouve notamment ma sœur à la basse. Il y a deux semaines on était à Arles, au Cargo. C’était génial, une super énergie. Ce soir, nous sommes au Divan Du Monde à Paris, c’est complet, comme à Arles. Ça va être fou ! Je rejoue mes anciens titres, du premier et du deuxième album que je n’ai pas fait depuis super longtemps, c’est un kiff total. Je suis en phase avec ces chansons et ce que je raconte, je l’ai retrouvé. La version 2015 de « La Bonne attitude » est top, vous verrez ! Je fais quelques reprises aussi, tout en y allant mollo : Sly Stone, Diana Ross… Une manière en soi de faire un truc un peu didactique et marrant, expliquer aux gens que la musique est un passage de flambeau, quelque chose qui n’appartient à personne : on est tous des passeurs, tous des voleurs !

Propos recueillis par Jim Zelechowski et Joachim Bertrand. Photos : Sabrina Mariez

Sinclair en concert à Paris (Divan du monde) le mardi 1er décembre. Tournée française en 2016.

Sinclair(Mathieu Blanc-Francard)