De Miles Davis Steely Dan, Bill Schnee a mixé pour les plus grands. En 1981, il s’associe aux Jacksons pour immortaliser leur triomphale tournée américaine. En résulte un double-album aux allures de testament scénique précoce (et le seul album live validé par Michael Jackson de son vivant), paru un an avant la sortie de Thriller. Pour ses 40 ans, The Jacksons Live! ressort en double vinyle, au moment où Bill Schnee publie ses mémoires.
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Funk★U : Vous publiez ces jours-ci votre livre Chairman at the Board. Pourriez-vous nous en présenter le concept ?
Bill Schnee : J’ai toujours aimé raconter des histoires et j’ai la chance d’avoir eu une longue carrière qui s’étale sur plus de 50 ans, avec des moments formidables. Pas mal de gens me demandaient régulièrement d’écrire un livre, mais cela ne m’intéressait pas car je trouvais que la démarche pouvait paraître trop intéressée. Puis, il y a quelques années, trois personnes différentes, sur une période de quatre semaines, m’ont suggéré à nouveau cette idée, et la troisième a ajouté quelque chose qui a résonné en moi. Elle m’a dit la chose suivante : « l’industrie du disque telle que nous la connaissons est née dans les années 1950, a grandi dans les années 1960 et a atteint son zénith dans les années 1970 et au début des années 1980. Ce fut une courte période, une période très emblématique, que nous ne revivrons jamais… et vous y étiez ». Le « vous y étiez » m’a frappé, et j’ai alors réalisé que je pouvais raconter des histoires qui n’avaient rien à voir avec moi directement, et dont j’avais entendu parler.
À quel moment vous êtes-vous impliqué dans le projet The Jacksons Live! ? Était-ce une demande du groupe, ou avez-vous été recommandé par le label ?
Freddy DeMann, le manager du groupe, m’a appelé et m’a demandé si cela m’intéresserait de réaliser ce projet. Je lui ai immédiatement dit oui et nous nous sommes rencontrés dans un restaurant pour discuter des détails.
Cet album est-il le fruit de plusieurs captations réalisées pendant différents spectacles ?
Le manager et moi avons décidé qu’il serait préférable d’enregistrer une série de spectacles au milieu de la tournée, alors que toute la troupe était au sommet de sa forme. J’ai choisi une série de dates dans le Nord-est parce que les villes étaient assez proches. Cela nous permettait de remballer le matériel rapidement après chaque spectacle pour nous rendre et nous installer à temps dans la ville suivante. Je ne sais pas combien de dates il y avait, mais je sais que la liste sur Wikipédia est fausse, car il y avait un spectacle à Nashville – je crois que c’était juste après les dates de New York. J’ai assisté à ce concert à Nashville avec des amis. Quand nous avons commencé à réécouter les différents concerts, Michael Jackson m’a demandé de couper sa voix. Je lui ai dit qu’il devrait les écouter parce que la plupart étaient excellentes. Mais il m’a dit non… et que sa voix devait être parfaite. J’ai abandonné le projet au moment où les overdubs allaient être enregistrés pour des raisons personnelles, et je suis revenu derrière la console pour réaliser le mix final.
Certaines parties ont donc été réenregistrées en studio ?
Ils ont fait quelques corrections en post-production. Je crois que certaines guitares, toutes les voix d’arrière-plan et certaines voix de Michael ont été refaites.
Cet album est mixé de manière à ce que le son soit spectaculaire et fasse travailler votre imagination (avec notamment les nombreux effets sonores…). Pendant le mixage, quelle était votre ambition ? Plus qu’un enregistrement d’un spectacle en direct, est-ce que vous et le groupe avez essayé d’en produire une bande originale immersive ?
Je voulais seulement faire une excellente représentation de la façon dont ils sonnaient pendant la tournée. Les albums live vivent ou meurent avec la performance de l’artiste lors de leurs spectacles. Il n’y avait en fait aucun effet spécial.
Certains musiciens de cette tournée, comme Bill Wolfer (claviers) et Jonathan Moffett (batterie), nous ont dit à quel point il était difficile de maintenir le groove sur certains titres, car le groupe voulait qu’ils jouent les chansons de façon rapide. Lors du mixage, était-ce difficile de maintenir ce son riche et groovy riche en basse ?
C’est drôle que vous me racontiez cette histoire concernant les musiciens, et cette demande du groupe à jouer les chansons plus vite. J’ignorais ce détail. Mais quand j’ai réécouté l’album 30 ans plus tard, après ne pas l’avoir joué pendant plusieurs années, j’ai été effectivement surpris de la vitesse sur certains titres.
En guise de teaser de votre travail avec Michael et ses frères, pouvez-vous partager un moment que nos lecteurs pourront découvrir et lire en entier dans votre livre ?
Un de mes chapitres préférés est celui consacré aux Jacksons. Il y a d’ailleurs un clin d’oeil sympa avec le récit de ma rencontre avec Michael dix ans avant le projet Live. Sur la tournée de 1981, le camion d’enregistrement disposait d’une caméra pointée vers la scène pour que je puisse voir qui faisait quoi. Les premiers soirs, j’oubliais littéralement de mixer parce que j’étais totalement hypnotisé en regardant Michael : il dansait comme un fou sur scène tout en chantant de façon parfaite. Absolument incroyable !
L’album Live des Jacksons est le seul publié par les frères (Motown a sorti un album live d’une tournée au Japon, mais ce n’était pas une sortie mondiale). Quelle était leur motivation et leur ambition lorsqu’ils ont commencé à travailler sur ce projet ?
Je pense que tout le monde savait qu’après la sortie d’Off The Wall, Michael allait s’envoler seul et que le groupe ne durerait peut-être pas longtemps. Ironie du sort, quelques années plus tard, ils sont tous venus dans mon studio pour travailler sur leur dernier single en tant que groupe, « State of Shock » (je crois) juste avant de lancer le Victory Tour.
Concernant le séquençage : était-ce compliqué d’agencer les chansons, en tenant compte du fait qu’à l’époque, l’album allait être pressé sur un double vinyle ? Par exemple, le medley des Jackson 5 est divisé entre deux, « I’ll Be There » étant le premier morceau de la face 3, avec la fameuse transition vers « Rock With You » ? Est-ce que certaines chansons ont été laissées de côté ?
Ils ont créé la setlist, et le seul problème était la division entre les quatre faces, et c’est pour cela que nous avons dû diviser le medley Jackson 5 ainsi. Je n’ai pas le souvenir de chansons mises de côté.
Pouvez-vous confirmer que lors des sessions de l’album Live, Michael est allé enregistrer quelques voix pour Joe King Carrasco sur une de ses chansons ?
Je n’en ai aucune idée. (Carrasco se souvient comment Michael a réussi à s’échapper du fameux studio 55 pour poser sur le titre « Don’t Let A Woman Make A Fool Out Of You ». Lorsque son père Joe apprend la nouvelle, il monnaie la prestation de son fils auprès de Joe « King » Carrasco contre la somme de 135 $, NDLR.)
Quand vous repensez à ce projet, quels sont les souvenirs qui vous viennent à l’esprit ?
La première chose à laquelle je pense, c’est à quel point Michael était talentueux, c’était absolument incroyable. Personne à ma connaissance n’est capable de faire ce qu’il faisait – chanter avec une voix parfaite tout en dansant comme il le faisait sur scène ! La plupart des artistes qui dansent pendant leurs concerts utilisent des voix préenregistrées lancées depuis un ordinateur… Bien sûr, tous les déplacements se faisaient en première classe et j’ai ainsi voyagé avec le groupe – dans le bus ! Je me suis habitué à entrer et à sortir des hôtels par les cuisines, car dans chaque ville, les fans savaient où les frères séjournaient et ils les restaient là à les attendre. J’ai vécu comme une rockstar pendant cette tournée !
Propos recueillis par Richard Lecocq
https://www.billschnee.com – The Jacksons Live! réédité en vinyle le 26 mars (Legacy Recordings/Sony Music).