Dans 1969, son nouvel album solo, André Cymone commente l’actualité américaine par le biais de protest-songs et de ballades pop-rock. Pour Funk★U, il décrit également son rôle aux côtés de son ancien partenaire Prince, sans oublier son souvenir fumeux du mythique concert parisien du Palace, en 1981.
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Funk★U : que représente pour vous l’année 1969, qui est aussi le titre de votre nouvel album ?
André Cymone : 1969, c’est l’année où j’ai plongé dans la musique. À la maison, j’étais le plus jeune de la famille. Mes sœurs étaient branchées sur la Motown et mon frère était plus dans le rock et le funk. Mon père était musicien dans un groupe de jazz et ma mère préférait le blues. Elle écoutait aussi des disques de comiques noirs explicites comme Redd Foxx, Richard Pryor ou Johnny Snatch and The Poontang Cowboys…1969, c’est surtout l’année où j’ai décidé de devenir musicien. Le problème, c’est que je ne savais pas jouer d’un instrument. Mon père jouait de la basse, il m’a montré quelques trucs et je me suis lancé. Je ne savais pas non plus comment produire un disque, j’ai dû tout apprendre de zéro. Dans ce nouvel album, j’ai essayé d’imaginer comment je m’y serais pris en 1969. Ce disque décrit aussi ce qui se passe en ce moment aux États-Unis, notamment la brutalité policière. Au fond, les choses n’ont pas tellement changé depuis 1969. On retrouve le même genre de conflits raciaux et c’est ce que j’ai voulu exprimer dans certaines chansons comme « Black Man In America » et « Black Lives Matter ».
Le son de 1969 est très pop-rock, très intemporel.
Oui, complètement. Lorsque j’ai commencé à enregistrer mes premiers albums solo dans les années 1980, les maisons de disque me demandaient de faire de la new wave, mais j’ai préféré me servir des ordinateurs. Je possédais les mêmes séquenceurs que Stevie Wonder, j’étais comme un savant fou. Résultat : la maison de disques détestait ce que je faisais car j’étais signé dans leur département R&B (rires) ! Pour 1969, je me suis basé sur les fondamentaux. L’avantage avec une guitare, une basse et une batterie, c’est que tu peux aller partout. C’est aussi la meilleure façon de raconter une histoire. Je pense que comme les journalistes, les artistes sont des commentateurs de l’actualité. Nous avons un rôle à jouer de ce côté-là, autant le faire de manière directe.
Vous avez accompagné Prince de ses débuts jusqu’en 1981. A-t-il influencé 1969 d’une manière ou d’une autre ?
L’album a été mixé le jour de sa mort. Nous avons repoussé sa sortie d’un an car je ne voulais pas qu’on pense que j’avais eu envie capitaliser autour de sa disparition.
Au cours de votre collaboration, vous auriez composé certains titres que Prince a publié sur ses albums sans vous créditer. Qu’en est-il ?
C’est difficile de dire que j’ai composé certains titres, mais c’est aussi difficile de dire que je ne l’ai pas fait. Nous avons grandi ensemble et nous avons commencé à faire de la musique en même temps. J’étais à la basse et lui à la guitare. J’écrivais des chansons, il en écrivait aussi de son côté. Ensuite, on les écoutait et chacun ajoutait son truc. Lorsqu’il a monté son premier groupe, on jammait pendant des jours entiers en studio et Prince enregistrait ces jams qui, parfois, allaient devenir des chansons… À l’époque, on ne savait pas non plus comment fonctionnait le système des crédits sur un album et on n’avait jamais entendu parler du publishing. Et quand le disque sort, tu l’écoutes et tu te dis « hey, c’est moi ! », mais c’est trop tard, et ça a créé quelques problèmes entre Prince et moi. Mais je ne me suis jamais vraiment plaint : J’ai beaucoup appris aux côtés de Prince, et plus tard, j’ai été capable d’écrire mes propres hits tout seul.
« Do Me Baby » figure dans la liste des titres que vous auriez composé.
« Do Me Baby » avait été écrite pour Pépé Willie. On nous avait envoyé à New York pour écrire des chansons destinées à son album. J’avais trouvé la ligne de basse et la vibe générale de la chanson, mais les paroles et tout le reste, c’est Prince. Je me souviens aussi que lors de ces mêmes séances, on avait également écrit « I Feel For You »…
« The Dance Electric », sur votre album AC paru en 1985, est ressorti cette année dans la version Deluxe de Purple Rain. Quelle est l’histoire de cette chanson ?
Je crois que Prince m’a offert « The Dance Electric » pour compenser toutes les rumeurs au sujet des chansons que j’aurais écrites avec lui. Il m’a dit : « André, j’ai une super chanson pour toi ». Il y a aussi un côté engagé dans cette chanson, et il savait que ça me plairait. Je l’ai écoutée, je l’ai trouvée excellente, mais j’ai beaucoup hésité avant de la mettre sur l’album. À ce moment de ma carrière, je voulais essayer de sortir de cette histoire, mais bien sûr, la maison de disques à pensé que c’était une excellente idée d’avoir une chanson de Prince sur l’album. Avec du recul, c’était une bonne chose, car ça nous permettait à tous les deux de boucler une histoire commune qui remonte à l’adolescence… Wendy et Lisa, et peut-être Jill Jones, sont aux choeurs sur « The Dance Electric ». Jill Jones chante sur beaucoup de chansons sur lesquelles elle n’a pas été créditée. J’ai retrouvé les membres de The Revolution après la disparition de Prince et pas mal d’histoires circulent encore au sujet des crédits. Je n’étais donc pas le seul dans ce cas !
En mai 1981, vous avez participé au premier concert français de Prince à Paris, au Palace. Vous souvenez-vous de ce concert ?
Oui, très bien. C’était la première fois qu’on venait en Europe et Paris était le dernier concert de la tournée. Je me souviens d’un incident survenu l’après-midi du concert : dans un restaurant, Prince s’était moqué d’un serveur en anglais. Il ne savait pas que les gens pouvaient parler anglais en dehors des États-Unis. Le serveur était furieux et il nous l’a fait comprendre. J’ai dû expliquer à Prince qu’en Europe, il y avait des endroits où les gens parlaient anglais mieux que nous (rires) ! Le concert du Palace était super. En fait, c’était mon tout dernier concert avec Prince. J’étais aussi très malade ce soir-là : quelques jours plus tôt, à Amsterdam, quelqu’un a eu l’idée de me faire fumer du haschich. J’avais déjà fumé de l’herbe, mais pas du hasch et je pensais que c’était la même chose. J’ai tiré sur le joint et je suis devenu livide. Ça a duré jusqu’au concert de Paris. Tout le monde se baladait en ville, sauf moi, qui était resté couché, malade comme un chien…
En revanche, en regardant la télé dans ma chambre d’hôtel, je suis tombé sur un chanteur incroyable en costume zébré. Il était entouré de nanas et c’était le truc le plus cool que j’avais jamais vu de ma vie ! J’ai tout de suite eu l’idée d’en faire une version américaine et j’ai demandé à ma soeur, qui faisait nos costumes de scène et le fameux trench-coat de Prince, de me fabriquer la même veste. J’ai ensuite parlé à Prince de ce gars dont j’ai oublié le nom. Il m’a dit que c’était une très mauvaise idée, mais au fond, je suis sûr qu’il était jaloux (rires) !
Allez-vous prochainement venir jouer en France pour défendre 1969 ?
Oui. Nous aimerions donner des concerts en Europe très prochainement. Je vais jouer des morceaux de 1969, mais aussi des extraits de mes album solo et quelques reprises de Prince.
Propos recueillis par Christophe Geudin
André Cymone 1969 (Leopard/Socadisc). Disponible le 22 septembre.