Andre Foxxe est l’un des membres historiques de Parliament-Funkadelic, qu’il rejoint à la fin des années 1970, alors qu’il est encore adolescent. Il deviendra dès lors un collaborateur fidèle de George Clinton, en studio comme sur scène, où le guitariste ne passe jamais inaperçu, avec sa robe de mariée ou sa tenue de nonne… Après un long silence, il sort cette année un nouvel album, Andre Foxxe & The Psychedelic Ghetto Pimpz. L’occasion pour Funk★U Magazine de revenir avec lui sur plus de 30 ans de P-Funk.
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Funk★U : Quand et comment a débuté ton histoire avec George Clinton et Parliament-Funkadelic ?
Andre Foxxe : C’était il y a une éternité ! En 1978 ou 1979, j’avais 16 ans… L’un de mes amis m’a dit qu’il connaissait les membres du groupe Parlet, qui répétait alors à Détroit. Lorsque j’ai su ça, j’ai volé la voiture de ma mère et on a filé pour aller les voir ! On a rencontré Ray Davis, Jeanette Washington, Jessica Cleaves… Ce jour-là, il y avait le Funk Festival au Pontiac Silverdome, le stade de Détroit. On décide donc d’y aller tous ensemble. Une fois arrivés, tout le monde se disperse, et je me retrouve seul en backstage. J’entends une musique vraiment cool venant de l’extérieur… Je pousse une porte, je regarde vers la scène et je suis sous le choc en découvrant Dr Funkenstein – monsieur George Clinton lui-même !-, Bootsy Collins et Michael Hampton, en train d’envoyer la sauce sur leur dernier morceau de l’époque, « Knee Deep » ! Avec moi, dans la pièce, se trouvait un jeune garçon – je découvrirai plus tard que c’était le fils de George Clinton, Tracey Lewis. A un moment, il me dit : « Hey, ça te dis de venir sur scène avec moi ? ». Je lui réponds : « Mais tu plaisantes, mec ! ». Et on se retrouve sur scène, à faire les chœurs de « Flashlight »… A l’époque, j’ai vécu ça comme le plus grand moment de ma vie. On est alors devenus très proches Tracey et moi. J’ai donc rejoint son groupe, Trey Lewd.
Tu mettras quelques années avant de travailler directement avec George…
Un jour, Ron Dunbar – qui était très proche de George Clinton – me voit sortir de ma voiture et me dit : « Hey gamin, j’ai un job pour toi ! C’est simple, il suffit de promener George, l’amener à l’aéroport, revenir le chercher, etc. Tu vas voir, c’est assez cool de bosser pour lui. » Ce fut donc ça, mon premier job officiel pour George Clinton : j’étais son chauffeur, son coursier, son « vas faire-ci, vas faire-ça, vas chercher ce gars, vas poser ce chèque à la banque », etc. J’ai ainsi pu observer de très près sa manière de gérer ses affaires… Et aussi d’autres petites choses dont vous êtes certainement au courant (rires) !
Comment s’est passée ta collaboration avec Tracey Lewis dans le groupe Trey Lewd ?
On était tous les deux très jeunes… Il avait deux ans de moins que moi, je le considérais comme mon petit frère. Quand ma mère a su que je trainais avec Funkadelic, elle m’a viré de chez moi, et George avait accepté de m’héberger quelques temps. Ça nous a encore plus rapprochés, Tracey et moi. On composait beaucoup, ça devenait vraiment intéressant… Le groupe était au complet et on avait de très bons morceaux. Mais Tracey a commencé à faire des choses complètement dingues… Littéralement ! Ce gosse était incontrôlable, et ça causait des problèmes à tout le groupe. Au bout d’un moment, j’ai pensé qu’il fallait que je prenne mes distances…
C’est aussi à cette époque que tu deviens guitariste…
Au départ, je faisais de la basse. Mais Tracey avait besoin d’un guitariste car il y avait déjà deux bassistes dans Trey Lewd. Moi, je ne savais pas vraiment jouer de la guitare… Alors un soir, j’ai posé ma basse, pris un peu d’acide et je me suis assis dans une pièce avec Garry Shider… Le lendemain matin, j’étais guitariste ! Histoire vraie (rires) !
Dans la compilation George Clinton’s Family Series Part II, il y a ce morceau de 1981, « I Can’t Stand It », crédité Tracey Lewis & Andre Foxxe. Est-ce le premier morceau que tu as enregistré ?
Non, le tout premier s’appelait « Make me Dance », mais je crois que George ne l’a jamais sorti… J’ai écrit « I Can’t Stand It « pour Trey Lewd. A l’époque, je voyais Tracey enregistrer avec son père, avec d’autres mecs du groupe… Je leur disais : « Mais pourquoi vous me laissez pas jouer sur ces morceaux ?! » J’avais progressé à la guitare, je bossais beaucoup, j’avais acheté une Les Paul… Un jour, j’en avais vraiment assez, je suis allé voir Garry Shider et lui ai dit : « Laissez moi enregistrer, j’en peux plus ! (« I can’t stand it »). Puis George m’a répondu : « Ok gamin, vas-y, on verra bien ce que ça donne ». Et c’est comme ça qu’est né « I Can’t Stand It », signé Andre Foxxe.
À partir de là, tu apparais sur tous les albums produits par George Clinton dans les années 1980 et 1990…
C’était une période dingue ! Et très instructive. George Clinton est un super pédagogue. Il m’a donné la chance de grandir, de m’améliorer, il le voulait vraiment. Quand j’avais 19 ans, il m’a dit : « Je vais m’occuper de toi et tu vas réussir ». Regarde George, on y est arrivés ! J’ai réussi (rires) !
De quel morceau es tu le plus fier ?
« Quickie ». Un très bon morceau, avec un des riff les plus funky que j’ai pu jouer…
Mais ce n’est pas Garry Shider, à la guitare sur « Quickie » ?
Non, c’est moi ! Ce riff incroyable, c’est moi ! Garry n’était pas là… L’autre morceau dont je suis assez fier est « Do Fries Go With That Shake », que j’ai aussi coécrit, même si je ne suis pas crédité. En réalité, il y a un paquet de morceaux pour lesquels je n’ai pas été crédité ! Mais ça, c’est une autre histoire…
Durant cette période, tu participes aussi à l’album de Jimmy G and The Tackheads…
À l’époque est apparu le frère de George Clinton, Jimmy Giles. On a monté un groupe autour de lui, Jimmy G and The Tackheads avec un album sorti en 1985 chez Capitol Records, dans lequel j’avais coécrit quelques morceaux comme « Break My Heart »… Jimmy avait beaucoup de talent, mais tout de suite après la sortie de l’album, il a décidé de disparaître, de ne plus faire de musique. Je ne sais vraiment pas ce qu’il s’est passé.
C’est là que tu décides de monter ton propre groupe ?
Je n’avais aucune assurance sur mon avenir. J’avais été dans Trey Lewd, et ça n’avait pas très bien marché malgré le fait qu’on ait enregistré une musique absolument monumentale et maintenant, j’étais membre de Jimmy G and The Tackheads, et ça ne marchait toujours pas. J’ai donc décidé de signer un contrat de production et de développement avec Don Davis et Willie Davis, les propriétaires des studios United Sounds Recordings. À Detroit, tout le monde enregistrait là-bas : Parliament-Funkadelic, Bootsy, Roger Troutman… Une fois le deal signé, j’ai recruté des mecs pour monter mon propre groupe, The A Foxxe Jam, avec qui j’ai enregistré énormément de morceaux. Mais ils ne sont sortis que beaucoup plus tard…
Pourquoi ?
Parce qu’au même moment, George vient me voir et m’apprend que Warner Bros. Records veut un deuxième album de Jimmy G and The Tackheads, mais que Jimmy G refuse de le faire. Il me propose donc de m’en charger à sa place. Je me dis : « Enfin ! C’est ma chance ! ». Je n’avais plus de bassiste, car mon cousin, que j’avais recruté pour The A Foxxe Jam venait de quitter le groupe. C’est donc Lige Curry qui l’a remplacé. Le groupe ne pouvait plus s’appeler A Foxxe Jam, il nous fallait un nouveau nom. La société d’édition de George s’appelait Parliafunkadelicment Thang Inc. ; c’est comme ça qu’on a pensé à Incorporated Thang Band, tout le monde trouvait ça cool dans le groupe. Alors George a dit : « Parfait, le nom du groupe sera Incorporated Thang Band ». Ce fut une expérience très intéressante… Car à ce moment, je ne réalisais pas que ce n’était plus mon groupe (rires) ! C’était le groupe de George ! Mais tout est le groupe de George…
Incorporated Thang Band fut un nouvel échec…
Le disque était pourtant très bon, mais n’a pas vraiment marché… J’étais complètement coincé. Je ne me voyais pas retourner voir Warner Bros. et leur dire : « Hey, j’ai un nouvel album pour vous ! », et de toute façon j’étais si démoralisé que je n’y avais même pas pensé.
En 1993, tu sors ton premier album solo I’m Funk And I’m Proud, sur un label japonais (réédité plus tard aux USA sous le nom The Foxxe Files)… Aujourd’hui, c’est un classique.
Après l’aventure Incorporated Thang Band, je reprends la petite routine des tournées avec les P-Funk All Stars… Au Japon, on est approchés par un label, qui voulait sortir des vieux morceaux de George (le label P-Vine, qui sortira la série de compilations George Clinton Family Series en 1992 et 1993, ndlr). J’en profite donc pour leur proposer les morceaux que j’avais enregistrés pour Don et Willie Davis. C’est comme ça qu’est né I’m Funk And I’m Proud. Un classique, en effet ! La plupart des morceaux ont été enregistrés au début des années 1980, quand j’étais avec Jimmy G and The Tackheads, ou quand je bossais sur les albums de Parliament-Funkadelic et de George Clinton.
Sur ce disque, il y a notamment un morceau enregistré avec les Red Hot Chili Peppers à l’époque où ils étaient en studio avec George Clinton pour Freaky Styley !
George travaillait sur le deuxième album de ce jeune groupe, les Red Hot Chili Peppers. Michael Clip Payne et moi, on leur donnait un coup de main, c’était assez cool : on avait à peu près le même âge, on était tous jeunes et sauvages ! En réalité, Clip et moi, on a été les premiers Chili Peppers noirs ! The Brothers Cup ! Un jour, j’étais seul avec ma guitare au studio de George. Les mecs de mon groupe étaient en retard, certainement bourrés quelque part… Je suis donc allé voir les Chili Peppers qui étaient juste à côté, pour leur proposer de jouer un morceau que je venais d’écrire, « Reputation ». C’est comme ça que j’ai eu l’honneur d’enregistrer avec Flea, Hillel Slovak, Anthony Kiedis et Cliff Martinez… On avait une énergie folle, et je crois que ça se sent sur le morceau ! J’ai vu qu’ils avaient récemment sorti une réédition de « Reputation » sous le nom Red Hot Chili Peppers… Il va falloir qu’on discute, Flea et Anthony (rires) !
Pour quelle raison as-tu brusquement cessé ta collaboration avec George Clinton au milieu des années 1990 ?
Je suis tombé du Mothership ! Croyez-le ou pas, mais c’est vrai : j’ai eu un accident lors d’un concert et je me suis cassé la jambe. Ça s’est terminé aux tribunaux car George Clinton n’avait pas prévu d’assurance pour les accidents du travail… J’ai arrêté de bosser avec lui pendant un moment. Ce fut une période difficile… Il fallait que je m’éloigne un peu de lui. Puis plus tard, on s’est rabibochés, et je suis revenu dans le groupe de 2009 à 2012. Je l’adore, tout est cool. Après la sortie d’I’m Funk and I’m Proud, j’ai continué à collaborer avec P-Vine, et je suis devenu directeur artistique du label. On a fait des Tribute to Jimi Hendrix, une compilation de bassistes, et plein d’autres choses… Ça marchait bien, je faisais mon propre funk, et j’en étais très fier !
Tu as écouté le nouvel album de Funkadelic Shake The Gate ? Qu’en penses tu ?
Waouh ! Énormément de morceaux, c’est une drôle de bête ! Un disque intéressant… Je ne dirais pas que c’est un album de Funkadelic mais si George le dit, alors c’est un album de Funkadelic !
Tu es de retour cette année avec un nouvel album, Andre Foxxe & The Psychedelic Ghetto Pimpz. Parle-nous de ce projet…
C’est une tuerie ! Cela m’a pris quelques années pour faire aboutir ce projet car je ne savais pas vraiment dans quelle direction aller… Et puis je me suis dit : « Funk it ! Fais moi un bel album de funk ! » C’est donc du pur funk, réalisé avec des mecs de New York et de Detroit, mes Psychedelic Ghetto Pimpz. Mais je vais bientôt organiser des auditions en Europe car j’ai envie de monter un tout nouveau groupe : à tous ceux qui lisent ça, ramenez-vous à mon audition, vous décrocherez peut-être un cachet !
Propos recueillis par Sandro Piscopo-Reguieg
Andre Foxxe Andre Foxxe & The Psychedelic Ghetto Pimpz. Disponible sur Bandcamp.