Fans de Michael Jackson depuis 1983, François Allard et Richard Lecocq ont travaillé pendant 18 mois sur La Totale, un ouvrage compilant 263 chansons et 41 clips. Retour avec ses deux auteurs sur la genèse d’une œuvre titanesque.



Funk★U : Quel est le point de départ de Michael Jackson, La totale ?
Richard Lecocq : Depuis l’adolescence, nous avions constaté que les ouvrages sur la musique de Michael Jackson étaient quasiment inexistants. En français, le livre de Christian Perrot faisait référence, mais il datait de 1984. En anglais, Sequins & Shades: The Michael Jackson Reference Guide de Carol D. Terry, le plus complet en la matière, était sorti en 1987. Depuis, personne ne s’était sérieusement penché sur l’œuvre de Michael Jackson jusqu’au moment où Hachette m’a contacté pour réaliser un ouvrage sur ses chansons pour leur collection La Totale.

Comment expliquez-vous cette absence criante de livres sur la musique du Roi de la Pop ?


François Allard : À partir de Thriller, sa carrière s’inscrit en dehors des États-Unis, en Asie, mais surtout en Europe où il va largement peser à partir de la sortie de Bad, à la fin des années 80. La France devient d’ailleurs le réceptacle de toute cette culture européenne.

Richard Lecoq : Depuis son enfance chez Motown, Michael Jackson est présenté comme une icône. À partir de Thriller, il va entretenir et alimenter son personnage de méga-star, y compris pour une partie de ses fans. Cette icône finira par se retourner contre lui, alors même qu’il n’a cessé de composer depuis l’adolescence et qu’il écrira ses œuvres les plus personnelles au moment où il ne donne à montrer qu’une caricature de lui-même. Dès lors, il n’est pas étonnant que les médias et les éditeurs se soient pratiquement focalisés sur ses frasques plutôt que sur ses talents de songwriter.3DMJ copie

Comment votre travail s’est-il articulé ?

François Allard : Nous avons entamé l’écriture du livre au printemps 2017. Richard a commencé par « Beat It » et j’ai écrit mon premier texte sur « Say, Say, Say ». Nous avons d’ailleurs pesé de tout notre poids pour que les clips de Michael Jackson soient associés à son œuvre musicale, car les deux sont indissociables pour comprendre l’homme dans toute sa complexité et sa diversité. Pour autant, Hachette souhaitait que nous nous focalisions uniquement sur sa carrière solo. Mais rapidement, ils ont pris conscience qu’il n’était pas possible de faire l’impasse sur les albums des Jackson 5 et des Jacksons. Même s’il est moins pertinent, son parcours musical avec ses frères va poser les bases de son œuvre personnelle et la marquer durablement. Nous avons adoré travailler sur ces albums souvent oubliés du grand public. Jamais personne n’avait pris le temps d’écrire sur Forever Michael publié en 1975, par exemple.

Vous avez écrit 608 pages sur 263 chansons et 41 clips, comment avez-vous organisé votre travail ?


Richard Lecocq : L’un comme l’autre, nous avions déjà publié de nombreux articles sur la musique de Michael Jackson. Pour autant, il n’était pas question d’en faire une compilation. Nous sommes repartis de zéro ou presque, en confrontant nos acquis et nos certitudes, en croisant nos sources tout en poursuivant notre travail de recherche afin de proposer un contenu factuel, le plus précis possible, au regard de nos connaissances actuelles. Nous nous sommes entretenus avec des fidèles collaborateurs de l’ombre comme le pianiste John Barnes ou Christopher Currell, spécialiste du Synclavier, élément majeur du son de l’album Bad. 
Nous avons découpé ce projet en sections pour gagner en homogénéité. J’ai, par exemple, travaillé sur toutes les intros d’albums et François s’est penché sur toutes les collaborations. Jusqu’alors, elles étaient réduites à une simple liste reléguée à la fin des livres. Pour La Totale, nous avons voulu donner à ses collaborations la place qu’elles méritent, au cœur de l’œuvre de Michael Jackson. Au final, c’est un plus d’un an de travail, plus d’un million 600 mille signes et toute notre vie de fan depuis 1983 (rires).

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Michael Jackson, La totale est richement illustré avec des photographies rares. Quelle souplesse avez-vous eu pour faire votre sélection ?


Richard Lecocq : Nous avons eu carte blanche. A l’exception des photos inaccessibles du clip de « Say, Say, Say », nous avons pu choisir des visuels qui apportaient du sens à nos propos. C’est une vraie chance.  Nous avons, par exemple, publié pour la première fois une image alternative de Thriller réalisé par le photographe Dick Zimmerman. Le chorégraphe Vincent Paterson nous a aussi offert des dessins préparatoires.

Votre ouvrage montre à quel point Stevie Wonder tient une place à part dans l’œuvre de Michael Jackson. Comment l’expliquez-vous ?

François Allard : L’emprunte musicale de Jackson, c’est Stevie Wonder. Il lui met le pied à l’étrier alors même qu’ils sont encore des enfants stars chez Motown. Il est à la fois un grand frère et une sorte de mère musicale. Avec lui, Michael Jackson apprend d’abord toute la mécanique de la production notamment lorsqu’il assiste aux sessions d’enregistrement de Songs In The Key of Life. Il lui en sera éternellement redevable et leur lien demeurera indéfectible du début à la fin, quand bien même leurs deux duos sur Bad et Characters sont ratés.

Richard Lecocq : Quand Michael parle de Stevie, il semble possédé. Au fond, il n’a jamais oublié ses racines. En rachetant les droits des Beatles, Michael Jackson a aussi rendu les siens à Little Richard, tout un symbole. Le jour des obsèques médiatisées de Michael Jackson, l’hommage de Stevie Wonder sauvera du naufrage une cérémonie indécente et indigne. 
L’autre fil rouge bienveillant de Michael, c’est l’arrangeur Tom Bähler. Présent de Rockin Robin’ (1972) jusqu’à Invincible (2001) en passant par The Wiz et « We Are The World ».



Qu’avez-vous découvert sur Michael Jackson en écrivant cet ouvrage ?

François Allard : Sans hésitation, l’influence de Christopher Currell sur Michael pendant l’enregistrement de Bad. Il va lui apprendre à gérer la musique assistée par ordinateur avec des samples via le Synclavier. Il va clairement l’émanciper de Quincy Jones en l’aidant à créer ses propres démos à la maison.

Richard Lecocq : Les tensions entre Michael Jackson et sa maison de disques sur le financement de ses vidéos sont anciennes alors même que les clips jouent une influence majeure dans le succès de son œuvre, comme chacun sait. En témoigne le court métrage de « Can You Feel It », un ovni tourné pendant neuf mois au lieu de trois et entièrement financé par Michael Jackson.

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Si Michael Jackson était encore vivant, où en serait sa carrière musicale aujourd’hui ?

François Allard et Richard Lecocq : Nulle part. Michael Jackson savait qu’Invincible serait son dernier album. A cinquante ans, il n’avait vraisemblablement plus l’envie de repartir sur la route pendant des mois et il aurait, sans doute, voulu se recentrer sur un travail autour de l’humanitaire via l’image animé et le cinéma, s’il avait eu la liberté de le faire.

Votre ouvrage ne lève pas le voile sur les inédits d’ Off The Wall. Est-ce une légende urbaine ?

Richard Lecocq : L’album a été réalisé très rapidement, contrairement à Thriller. À notre connaissance, il existe seulement quelques inédits introuvables comme « Going To Rio » ou « Iowa », composés à cette époque semble t’il. Toutes les démos ont été testées en piano-voix. Ces versions devaient sortir en 2016 et nous avons eu un morceau de craie avec le CD à la place (rires) !

L’exposition sur Michael Jackson au Grand Palais à Paris se clôture le 14 février. Qu’en avez-vous pensé ? 

François Allard et Richard Lecocq : C’est une honte. Ça devient lassant ce genre de projet sans âme. C’est gênant même car on peut légitiment se demander ce qui va rester dans la mémoire collective, dix ans après sa disparition. Michael Jackson était un chanteur, un auteur, un artiste à part entière. Beaucoup de gens semblent l’avoir oublié.

Propos recueillis par Joachim Bertrand

Michael Jackson, La totale – Les 263 chansons et 41 clips expliqués de François Allard et Richard Lecocq (E/P/A – Hachette). 608 pages, 44,90 €. Disponible.