Curtis Mayfield avait enregistré une chanson pour sa fille (« Miss Black America », sur Curtis, 1970), Marvin Gaye avait composé un album entier sur son ex-femme, Anna Gordy, (le douloureux Here, My Dear en 1978). À 63 ans, Lee Fields, pilier Daptonien expatrié chez Thruth and Soul Records, publie Emma Jean en souvenir sa mère disparue. Pour autant, le screamer de Caroline du Nord contourne l’hommage larmoyant à l’aide de 10 titres originaux, plus une reprise étincelante du merveilleux « Magnolia » du regretté J.J. Cale, enregistré avec le renfort des Expressions, le groupe maison de Truth and Soul Records, et Dan Auerbach, moitié des Black Keys et producteur stakhanoviste, des récents efforts de Dr. John et Ray Lamontagne jusqu’au dernier Lana Del Rey. Respectueuse des constructions harmoniques d’une soul estampillée late sixties, cette équipe oeuvre avec brio au service de l’écriture de Lee Fields, sans doute le songwriter le plus doué de la production sans fin de la récente vague rétro-soul. Les réverbérations organiques de « Just Can’t Win » précèdent un cortège de compositions de choix, dont les valses cuivrées de « Paralysed » et « Eye ot Eye », l’attaque staccato de « Talk to Somebody » et le crépusculaire « Stone Angel », sans doute une de splus belles ballades du répertoire de Lee Fields. Autant de titres forts liés à l’expérience concrète d’un artiste aguerri qui selon ses propres mots, » n’essaie pas de reproduire quelque chose qui existe déjà, mais tente d’innover et de créer à partir d’une fibre authentique. »
Jacques Trémolin
Lee Fields Emma Jean *** (Truth and Soul Recordings/Differ-Ant). Disponible en CD, LP et version digitale.