Après 16 ans d’absence, Ludovic Llorca, ancien membre du label électronique F Com, revient aux affaires avec l’excellent The Garden, un nouvel album 100% funk enregistré principalement avec des machines. Entretien avec un véritable amoureux du genre.
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Funk★U : Newcomer, ton précédent album, est sorti il y a plus de quinze ans. Avais-tu cet album de funk en toi depuis tout ce temps ?
Llorca : Évidemment. J’ai fait beaucoup de tournées après ce premier album et à un moment, F Com m’a demandé de penser à en enregistrer un deuxième. J’avais envie de quelque chose de funky avec des cordes. Je leur ai soumis des maquettes, mais elles ne leur ont pas plu. J’ai quitté le label peu de temps après, j’avais l’impression d’avoir perdu une famille musicale mais comme l’album avait bien marché, ça m’a permis de me recentrer sur les clubs et le DJing au cours des dernières années. J’ai sorti plusieurs maxis sur des petits labels, mais j’avais toujours cette idée d’album en tête et je me suis mis à recomposer il y a sept, huit ans. Sans label, ça a été plus compliqué, mais j’ai fait tout ce travail moi-même, y compris l’écriture de textes qui était une première pour moi, et je suis content d’en être arrivé au bout.
En général, les musiciens électroniques qui enregistrent des disques de funk se contentent d’ajouter des éléments divers (cuivres, vocoders) sur des boucles. Ce n’est pas le cas de The Garden, qui est funk de A à Z.
Oui, mon intention était de faire un vrai disque soul-funk. Je me livre à un petit jeu depuis quelques années en essayant de faire sonner un ordinateur aussi bien qu’un vrai groupe live. Quand j’ai commencé à faire de la musique avec des machines, je croyais naïvement que tout le monde faisait comme ça. Je ne me suis rendu compte que plus tard du nombre de personnes qui participaient à l’élaboration d’un album. J’ai gardé cette manière de travailler car je suis un control freak qui sait comment ses morceaux doivent sonner.
Il est très difficile de distinguer ce qui est live ou programmé sur ce disque.
J’ai fait rejouer quelques petits trucs, dont des guitares, même si j’ai conservé quelques loops de cocottes que je collectionne depuis des années. Il y a aussi un violon et du Fender Rhodes et, bien sur, les chanteurs. Je suis parti à la chasse aux voix que je voulais entendre. J’ai passé beaucoup de temps à les chercher et j’ai trouvé par exemple Samuel Lancine sur une compile afrobeat, Laetitia Dana sur une prod et Frank H. Carter III, qui chante sur « You », sur l’album d’un ami.
Tu brises une sorte de tabou en proposant un album presque exclusivement enregistré sur des machines, alors que le funk est par définition une musique organique. En es-tu conscient ?
Je ne me suis jamais posé la question en ces termes. J’ai grandi en écoutant des musiques électroniques et organiques et quand j’ai commencé à en faire sur un ordinateur vers quatorze ans, je savais que ca pouvait donner quelque chose. Aujourd’hui, les outils sont assez puissants pour imprimer le groove voulu et pour faire sonner les instruments virtuels comme s’ils étaient réels, même si ça représente un boulot de préparation énorme.
Dans The Garden, on trouve du funk, de la soul, du disco, des ambiances Blaxploitation. As-tu voulu proposer un large panorama des sous-genres du funk ?
Ce n’était pas clairement l’intention, mais je ne voulais pas non plus proposer un disque de dix morceaux à la Sly Stone ou à la Funkadelic. Je ne voulais absolument pas enregistrer non plus un disque de soul vintage à la Lee Fields ou à la Sharon Jones. L’idée était plutôt de faire ressortir des choses que j’avais en moi. J’avais 25 ans à l’époque de Newcomer et il s’est passé beaucoup de choses dans ma vie ces quinze dernières années. Tout ça se retrouve forcément dans ta musique…
Quels sont les musiciens qui font partie de ton panthéon soul-funk ?
Sly Stone est une référence absolue. Fresh est un album incroyable, à la fois très moderne dans l’approche et un peu crade. Tu sens que le gars est bousillé, mais il ne ment pas et il fait passer un truc de dingue. Les lignes de basse sont folles aussi… Prince, évidemment. Stevie Wonder et Bill Withers, que je vénère également.
George Clinton dit que le tempo de l’électro, c’est comme faire l’amour en un seul coup. Qu’en penses-tu ?
(Rires) C’est à la fois vrai et faux, car l’électro n’est pas que du David Guetta ou de l’EDM qui ne bouge pas et qui devient très vite chiante. Plein de musiciens très intéressants, comme Max Graef ou Crazy P par exemple, gardent ce martèlement sur chaque temps mais ils arrivent à placer des choses entre les battements et parviennent à créer des tensions, des flottements. C’est là que ça devient intéressant…
Propos recueillis par Christophe Geudin
Llorca The Garden (Must Have/Membran Records). Disponible en CD, vinyle et version digitale le 7 avril.