40 ans après sa sortie, Thriller resurgit dans les bacs, avec une édition anniversaire sous la forme d’un double-CD. L’Estate de Michael Jackson jure que les 10 pistes bonus présentes sur cette cuvée 2022 sont totalement inédites, une promesse loin d’être tenue après écoute. Pour des raisons contractuelles et financières, les titres réalisés avec Quincy Jones restent (encore) au placard. Seuls deux titres, « Starlight » et « She’s Trouble », déjà envisagés pour la réédition des 25 ans de Thriller en 2008, ont réussi à passer les mailles du filet. Découvrez le contenu de ce CD au mastering déconcertant, comme si les fichiers et bandes avaient été transférées sans chercher à homogénéiser  l’ensemble.

★★★★★★

1/STARLIGHT

Composée par Rod Temperton, « Starlight » est la première version de la chanson « Thriller ». Elle devait même donner son titre à l’album. Mais en studio, la sauce ne prend pas, et, selon la légende, Temperton rentre un soir chez lui et se réveille le lendemain matin avec un seul titre en tête: « Thriller ».  La légende est née. Disponible depuis longtemps sur le marché pirate, “Starlight” apparaît pour la première fois sur support officiel. Avec son instrumentation moins aboutie et des paroles aux antipodes du délire horrifique du « Thriller » final, cette version dévoile les coulisses d’un titre qu’on ne présente plus et qui est accessoirement devenu l’hymne d’Halloween.

 

2/GOT THE HOTS (DEMO)

Rod Temperton intervient à nouveau sur ce groove qui permet à Michael Jackson de donner – l’air de rien – une performance vocale plus aussi remarquable que sous-estimée, toute en sensualité et excitation contenues. Cette demo, sortie au Japon sur la réédition Thriller 25 (2008) se retrouve par la suite sur plusieurs compilations “King of Pop”, en Italie et en France (2009). En 1982, MJ range cette demo dans ses archives. Rod Temperton la retravaille pour le premier album de Siedah Garrett (Kiss Of Life, 1988) et la rebaptise « Babys’s Got It Bad ».


 

3/WHO DO YOU KNOW (DEMO)

Une boîte à rythme qui rappelle la fameuse Roland TR 808 introduit cette demo composée par Michael Jackson, et dont certains accents mélodiques font penser à d’autres titres confidentiels, comme « I’m So Blue » et « Fly Away » (tous les deux présents sur la réédition Bad 25). Au détour du pont musical, un sifflement rappelle celui entendu en intro de « Stranger in Moscow », publié sur l’album HIStory en 1995. Une bonne idée ne se perd jamais, et la cuisine de ce « Who Do You Know » présente certaines idées rythmiques et mélodiques que le Roi de la Pop va prendre le temps de peaufiner pour ses futurs hits. « Who Do You Know », « I Lost My Baby » chante Michael à plusieurs reprises : voilà une ballade assez triste et mélancolique, un registre souvent développé dans la riche discographie du Roi de la pop.


 

4/CAROUSEL

Sublime ballade, moelleuse à souhait et évincée à la dernière minute au profit de « Human Nature », « Carousel » est un morceau de choix. Co-écrit par Don Freeman et Michael Sembello, elle déroule le fil inusable de l’histoire d’amour impossible. La demo enregistrée par Sembello entendue sur son propre site web dans les années 2000 fait des clins d’oeil aux Doobie Brothers, tandis que la proposition de Quincy Jones se la joue plus poppy. Déjà publiée en 2001 dans une version (très) raccourcie sur une réédition de Thriller, une autre, plus longue mais toujours amputée de quelques mesures,  fait surface, toujours et encore, sur les compilations italiennes et françaises “King of Pop” (2009). La voici de retour sur Thriller 40, mais dans une qualité sonore en deçà de ce qui existe déjà.


 

5/BEHIND THE MASK (MIKES’ MIX – DEMO)

Titre mythique né en 1979 entre les mains de Yellow Magic Orchestra en 1979, « Behind the Mask » fait partie des chansons que Michael Jackson a longuement hésité à placer en place de choix sur « Thriller ». Interprété par de nombreux artistes dont Greg Phillinganes, la version enregistrée par MJ apparaît sur le très controversé album Michael (2010, sur lequel figure les trois fameux titres fake des frères Cascio). La demo qui rejoint le tracklist de Thriller 40 porte bien son nom : la production se rapproche de celle de Yellow Magic Orchestra, mais les arrangements ne sont pas aboutis, et Michael tape des pieds assez fort pour que ça s’entende bien dans le mix. La guitare rythmique présente ici est conservée dans le mix de 2010. Quant au final, il rappelle celui de la version de Phillinganes sorti en 1985.


 

6/CAN’T GET OUTTA THE RAIN

« You Can’t Win » est le tout premier single de Michael Jackson chez Epic en 1979. Le label décide d’exploiter ce titre rescapé du projet The Wiz en format maxi single : un ambitieux mix composé de deux parties et alors distribué. La fameuse Part 2 est simplement recyclée par Quincy Jones et Michael Jackson pour créer « Can’t Get Outta The Rain ». Entre ces deux titres, un seul mot change : le « Rain » de 1982 remplace le « Game » de 1979. Quelques légers ajustements dans le mix, est l’affaire est jouée. Ce titre a servi de Face-B de plusieurs singles pendant la promotion de Thriller, avant d’être enfin pressé sur CD à la fin des années 2000. Anecdote : Michael n’est en réalité pas le premier Jackson a sortir un titre solo chez Epic : fou de rage de le voir partir à New York tourner The Wiz, son père Joe use de son influence pour que le plus jeune des frères, Randy sorte en 1978 un timide 45-tours solo, « How Can I Be Sure », un an avant la sortie d’Off the Wall.


 

7/THE TOY (DEMO)

Première version de « Best Of Joy », également exploitée pour l’album posthume Michael, « The Toy » fut composée pour le film de Richard Pryor du même nom. Souvent présente sur les listes de titres inédits qui dorment dans les coffres du Roi, « The Toy » est une ballade simple, dont les lignes mélodiques peuvent rappeler certaines chansons des Bee Gees. La prise vocale de Michael est évidemment différente de celle de « Best of Joy », avec sur cette demo une mise en avant des chœurs, où la voix de tête est omniprésente et se démultiplie.


 
 

8/SUNSET DRIVER (DEMO)

Titre envisagé pour Off the Wall, puis retravaillé pendant la préparation de Thriller (d’où ce mix datant de 1982). Michael Jackson ne cesse de poser « Sunset Driver » sur sa table de travail. En 1990, alors qu’il planche sur Dangerous, il le confie à Teddy Riley : « Sunset Driver » change de direction et de nouveaux éléments mélodiques sont introduits. Ces derniers sont conservés sur le titre « Blood on the Dance Floor » publié en 1997.  Mais en 1982, « Sunset Driver » baigne encore dans un funk torride et survolté, avec la basse qui slappe à merveille. À noter que cette demo figure déjà dans le coffret Ultimate Collection (2004).


 

9/WHAT A LOVELY WAY TO GO (DEMO)

Sur une base piano / beatbox, « What A Lovely Way To Go » fait partie des chansons composées par Michael Jackson au milieu des années 1970. À cette époque, il cherche à quitter Motown avec ses frères pour un label qui leur donnera une réelle liberté artistique. Le jeune Michael, alors âgé de 17 ans, écrit des ballades dont les mélodies rendent souvent hommage à ses modèles, comme Stevie Wonder lorsqu’il livre « Blues Away » sur le premier album des Jacksons chez CBS en 1976. « What A Lovely Way To Go » puise son inspiration dans une zone assez floue, entre Elton John et les Beatles. Un titre anecdotique mais surprenant, avec des choeurs riches et très présents, et un Michael qui lance des « Everybody » pour donner encore plus de force au refrain, qui entre facilement dans la tête pour ne plus en sortir.

10/SHE’S TROUBLE (DEMO)

Titre composé par Terry Britten, Bill Livsey et Sue Shiffin, « She’s Trouble » fait partie des tracks sélectionnés en demi-finale pour Thriller. Finalement mis de côté, il sera proposé à d’autres artistes comme Scott Baio ou encore le groupe anglais Musical Youth qui finiront tous par l’inclure sur leurs albums respectifs. Contrairement à la version disponible en bonne qualité sur les marchés parallèles, la prise vocale sur ce mix est complète, finalisée. Pas tellement funk, et prenant des airs de sucrerie pop, « She’s Trouble » fait tourner son groove sans prétention, mais ne peut définitivement pas se mesurer aux chansons validées par le duo Jackson / Jones.

★★★★★★

Thriller 40 est disponible en double-CD et vinyle simple (sans les pistes bonus). Le label MoFi en profite pour commercialiser un vinyle One Step et un nouveau SACD en séries limitées. Une version digitale avec 15 pistes bonus permettent de redécouvrir des versions demos de quelques uns des titres empiriques (« Billie Jean », « Beat It », « Wanna Be Startin’ Somethin’ » et « P.Y.T ») en plus de remixes ou version singles déjà éditées par le passé. Les clips mythiques “Beat It” et “Thriller” sont également disponibles en 4K sur les plateformes. Dans le cas de “Thriller”, le résultat est bluffant.


Richard Lecocq