Le troisième album de Michael Kiwanuka porte uniquement son nom, telle une déclaration d’intention. Rencontre avec un soul writer solidement attaché à la notion d’album.

★★★★★★★

Funk★U : Ce nouvel album s’intitule simplement Kiwanuka. Est-ce une déclaration d’intention ?
Michael Kiwanuka : Absolument. Cet album, c’est moi dans mes bons et mes mauvais jours. Être un artiste signifie avoir du courage, de l’audace. J’ai eu la chance de sortir deux albums qui ont remporté un certain succès. J’ai eu aussi peur de perdre mon instinct en route, et j’ai eu besoin de reprendre le fil, de reprendre confiance. Kiwanuka, mon nom, en dit aussi beaucoup sur ma vie et, de mon point de vue, il est chargé en émotions. J’ai pu en avoir honte à certains moments de ma vie, et on m’a même parfois demandé d’en changer.

Vraiment ?
Oui, même si on ne me l’a pas demandé directement… Avoir intitulé cet album ainsi est aussi une façon de protester contre ce que certaines personnes attendent de vous afin d’être accepté par le plus grand nombre. Je n’avais pas envie de ça, même si mes idoles Bob Dylan et David Bowie ont dû changer de nom au début de leur carrière, et même de créer des alter-ego à la Ziggy Stardust.

Toutes les chansons de Kiwanuka s’enchaînent les unes aux autres, comme un flot de pensées. Était-ce le point de départ de cet album ?
J’ai toujours rêvé de structurer un album de cette manière. Un album, à l’égal d’un film ou d’une pièce de théâtre, est une œuvre d’art. Personnellement, ça me gêne d’écouter des titres hors-contexte, j’ai l’impression d’être perdu en plein milieu d’une histoire. Dans cet album, j’ai voulu développer des images et des couleurs précises, et ça prend forcément du temps. L’idée est d’impliquer l’auditeur, de l’emmener ailleurs pendant une heure. Mes albums préférés sont faits comme ça, à l’image de What’s Going On.

À cet égard, Kiwanuka est certainement votre album le plus ambitieux à ce jours en termes de production.
Avec Danger Mouse et Inflo, nous avons essayé d’aller le plus loin possible. Nous sommes partis des éléments de Love & Hate (2017, ndr) avec l’idée d’intégrer des sons plus durs, des tempos plus rapides et une touche supplémentaire de psychédélisme, à la limite de l’abstrait.

Dans ce nouvel album, votre voix est également parfois saturée, réverbérée ou ralentie.
C’est un bon exemple de ces éléments abstraits. Dans la chanson « Hero », nous avons pitché ma voix un ton plus bas car c’était un moyen de renforcer l’ambiance et l’idée générale du morceau. Ça le rend encore plus psychédélique et ça me plait beaucoup, car j’adore la soul psychédélique de Norman Whitfield, des Delfonics et de Funkadelic, entre autres.

On retrouve aussi l’influence d’Ennio Morricone dans certains titres.  
Oui, la chanson « Hero » raconte un duel entre deux rivaux, et l’imagerie du pistolet et des balles collait parfaitement aux sonorités de Morricone dont je suis très fan, même si je crois que Brian (Burton alias Danger Mouse, ndr) dont l’être encore plus que moi !

Kiwanuka packshot-1024x1024Les textes de Kiwanuka sont, une fois encore, très personnels, et même peut-être encore plus que d’habitude.
C’est vrai. Ceux de Love & Hate l’étaient déjà beaucoup, mais j’ai également l’impression d’aborder des sujets plus larges, notamment dans « Hero ». Cette chanson essaie de définir la notion de héros musical, et tente d’expliquer pourquoi certains de ces héros, qu’il s’agisse de Marvin Gaye ou John Lennon, ont été assassinés. Et tous nos héros meurent jeunes en choisissant l’héroïne ou un mode de vie extrême…

Dans un autre registre, « Another Human Being » traite de ma foi personnelle. Je ne crois pas en un Dieu en particulier, mais à une puissance supérieure. La question n’est pas non plus de croire en une figure paternelle autoritaire, mais de faire confiance, de se laisser guider pour se sentir libéré.

Vous allez donner un concert à Paris, Salle Pleyel, le 23 novembre. À quoi ce show va-t-il ressembler ?
Bien sûr, je jouerai beaucoup de titres de Kiwanuka sur scène, mais j’ai aussi envie de prolonger cette idée d’ambiguïté abstraite en invitant ceux qui viendront nous voir à s’évader pendant deux heures. Il y aura aussi des choristes, et je peux déjà vous dire que ce sera très psychédélique…

Michael Kiwanuka Kiwanuka (Mercury/Universal). Sortie le 1er novembre. En concert à Paris (Salle Pleyel) le 23 novembre.