Après le pianiste-musicien salué l’an dernier dans Piano & Microphone 1983, Originals célèbre le Prince songwriter, à l’honneur dans une sélection de 15 titres confiés à ses collaborateurs les plus proches (The Time, Jill Jones, Sheila E….) et quelques commanditaires occasionnels (The Bangles, Kenny Rogers ou Martika). Sélectionnés par le Prince Estate et Jay-Z (propriétaire de la plateforme Tidal), Originals propose les versions 100% Princières, voix et arrangements inclus, de ces chansons. Chronique titre par titre :
1/ Sex Shooter (1983, 3’06)
Originellement destiné à Vanity 6 avant son débarquement de la planète Princière en 1983, le playback de « Sex Shooter » est en tous points similaires à la version chantée par Apollonia 6 dans Purple Rain, puis parue en 1984 dans l’unique album du girl-trio. Le premier titre d’Originals introduit avec clarté son concept : une collection de chansons livrées clés en main par leur auteur à ses interprètes, des intentions générales de timbres jusqu’aux moindres interjections vocales.
2/ Jungle Love (1983, 3’04)
Traitement similaire pour « Jungle Love », basé sur un instrumental de Jesse Johnson recyclé dans Ice Cream Castle, le troisième album de The Time paru en 1984. Pas de solo de guitare dans cette version aboutie, mais l’absence est comblée par l’irrésistible imitation par Prince des « singeries » de l’impayable Morris Day.
3/ Manic Monday (1983, 2’51)
Initialement destiné à Apollonia 6, « Manic Monday » devra patienter trois ans avant d’être rhabillée aux couleurs du Paisley Underground par les Bangles de Susanna Hoffs. Largement live, cette proposition rythmée par des textures acoustiques, un motif de clavecins Mozartien et des chœurs féminins (Jill Jones ?) navigue entre les fanfreluches pop de « Take Me With U » et la mélodie lead de « 1999 ». Ah, si The Revolution avait eu le temps de passer par là…
4/ Noon Rendez-vous (1984, 3’00)
Sheila E. est la récipiendaire privilégiée de quatre offrandes dans le tracklisting d’Originals. « Noon Rendez-vous », la ballade atmosphérique parue dans le premier album de la batteuse bouclée, n’a que peu d’affinités avec cette proposition « déproduite » et ultra-dépouillée, circonscrite par la voix a cappella de Prince et uniquement accompagnée d’un piano et d’échos lointains de LinnDrum. Splendide.
5/ Make-Up (1981, 2’27)
Inclus dans l’album Vanity 6, cet étonnant exercice electro-minimaliste anticipe les fascinantes programmations synthétiques de l’album 1999, « Something in the Water… » et « Automatic » en tête. Less is more avec l’association minimaliste d’une synth-bass, de handclaps électroniques, de claviers arabisants et d’une partie chantée robotique et désincarnée. Près de 40 ans après, nombreux sont les apprentis de l’electronica qui courent encore après ce genre de fulgurance.
6/ 100 MPH (1984, 3’30)
En 1985, Prince chipe l’arrangement original de « Kiss » au groupe Mazarati. En contre-partie, le premier album du groupe sorti en 1986 bénéficiera de « 100 MPH », mini-hit en puissance et perle deep-funk du répertoire Princier. Bien connue des fans, la version proposée au groupe de Brownmark circule en bootleg depuis plusieurs années. Surprise ! Cette anthologie propose une étonnante alternative augmentée par un discret gimmick de claviers et, surtout, la guitare hurlante de Prince, le jack directement branché dans la console, et en roue libre totale pour le choc funk’n’roll d’Originals !
7/ You’re My Love (1982, 4’24)
Contre-jour abyssal du titre précédent, « You’re My Love », confié au countryman Kenny Rogers en 1986 sous le pseudo de Joey Coco, est une tentative yacht-rock croonée en basso profondo par un Prince en complet contre-emploi vocal. Passé l’effet de sidération, ce prototype de 1982 bénéficie d’une agréable instrumentation calif’ dans le style de « Money Don’t Matter 2night », autrement plus agréable que le lessivage synthétique entendu dans l’album They Don’t Make Them Like They Used To du susdit Rogers.
8/ Holly Rock (1985, 6’38)
« Sheila E. is the name, Holly Rock is the game ! ». Entendu dans la BO de l’oublié Krush Groove, « Holly Rock » conjugue l’exercice de groupe — Eddie M souffle dans son saxo —, les guitares-carillons de « Erotic City » et la folie débridée des jams Princiers de l’âge d’or. Près de sept minutes d’extase pour un version extended surpassant haut la main son homologue officiel. Le sommet funky d’Originals, conclu par un hilare « Now try to dance to that ! » de son auteur.
9/ Baby You’re a Trip (1982, 5’51)
En 1987, Jill Jones, après plusieurs années passées dans l’ombre minnéapolitaine, publie son unique album solo et pulvérise (presque) toutes les autres productions estampillées Paisley Park. « Baby, You’re a Trip », unes de plus grandes ballades méconnues de Prince, constituait déjà un des Himalayas soul de Jill Jones. Piratée jusqu’à l’os depuis plusieurs décennies, le « Baby… » d’Originals offre son bonus personnel avec, en bout de piste, la stupéfiante outro a cappella de « Mia Bocca » absente des démos répertoriées.
10/ The Glamorous Life (1983, 4’12)
Hit incontournable de la carrière de Sheila E, « The Glamorous Life » inclus dans Originals est identique à la version leakée sur Internet au lendemain de la disparition de Prince. Aura-t-on droit au traitement similaire de « A Love Bizarre » sur l’hypothétique Originals Volume II ?
11/ Gigolos Get Lonely Too (1982, 4’41)
À première écoute, la ballade tragi-comique figurant sur le deuxième album de The Time partage le même playback que celui d’Originals. Oui, mais non : si l’instrumentation est identique, plusieurs écoutes approfondies confirment que ce nouveau mixage, enfin débarrassé de l’écrasement digital des premiers transferts CD, libère chaque instrument. En résulte une grandiose ballade pop-funk, dans laquelle un Prince à la voix doublée clone à nouveau Morris Day à la perfection, tout en chantant directement sur la bande son futur solo de claviers.
12/ Love… Thy Will Be Done (1991, 4’07)
Qui se souvient de Martika, one-hit wonder des tops européens au début des 90’s ? Prince aimait tellement les volutes new age « Love… Thy Will Be Done » qu’ils les reprendra sur scène au cours de décennies suivantes. Version identique à celle distribuée sous le manteau depuis 25 ans.
13/ Dear Michelangelo (1985, 5’22)
Dernière apparition de Sheila E. au générique avec « Dear Michelangelo », une séquence uptempo apparue dans Romance 1600, en 1985. Une fois encore, un dépoussiérage avantageux rehausse les saturations de la guitare de Prince dans une prise foutraque qui n’aurait pas déparé sur le CD bonus de Purple Rain Deluxe.
14/ Wouldn’t You Love To Love Me ? (1981, 5’56)
Vieille obsession Princière réenregistrée au fil des ans et proposée à Michael Jackson avant d’atterrir chez Taja Sevelle, « Wouldn’t You Love To Love Me ? » est présentée dans sa première incarnation réalisée en 1981. Lestée par une prise de son de qualité moindre au vu des autres titres d’Originals, cette (longue) plage de travail sans véritable relief constitue le maillon faible d’un ensemble hautement satisfaisant.
15/ Nothing Compares 2 U (1984, 4’40)
Exhumée en 2018 à l’occasion d’une parution en 45-tours, l’interprétation solo de « Nothing Compares 2 U » de la chanson offerte à The Family referme Originals, un recueil parcouru d’éclairs de génie, de surprises en tous genres, d’émotion et de frustration. Comme un album de Prince…
Prince Originals (Rhino/Warner) CD simple, téléchargement et streaming disponibles le 21 juin. Versions 2-LPs et Deluxe limité CD+2LPs disponibles le 19 juillet.