Le lendemain de son concert au festival Afropunk, Raphael Saadiq reçoit Funk★U pour évoquer Jimmy Lee, son nouvel album après huit d’absence. Le temps d’un mini-récital de piano incluant « People Make Make the World Go Round » et « Untitled », et le musicien-producteur s’avance vers le micro pour commenter le disque le plus douloureusement personnel de sa carrière.

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Funk★U : Jimmy Lee, votre nouvel album, paraît huit ans après Stone Rollin’, votre disque précédent. Que s’est-il passé durant cette période ?
Raphael Saadiq : J’aime bien prendre mon temps, et il n’y avait pas vraiment de planning relatif à ce nouvel album. J’ai pris un peu de recul durant cette période, tout en continuant à travailler avec d’autres personnes qui m’ont influencé à leur tour. C’était aussi intéressant de voir ce qui sortait, de voir comment la musique évoluait et, surtout, de pouvoir m’imprégner de la vie de tous les jours : prendre le métro, observer les gens, ne pas se presser. Bref, toutes les choses qu’on peut faire avant de sortir son premier album, car une fois que tu as enregistré ce premier album, tout tourne autour de l’industrie et ta vie change complètement… Dans mon travail, je m’inspire donc beaucoup du quotidien, et je puise aussi mon énergie chez les autres. C’est comme ça qu’est né Jimmy Lee, entre autres sources d’inspirations.

Jimmy Lee est le nom de votre frère décédé d’overdose il y quelques années. Ce disque raconte une partie de son histoire, mais peut-on pour autant le qualifier de concept-album ?
On peut le dire, et je pense que tous mes albums sont des concept-albums. Quand je prépare un album, je prends toujours le soin d’établir un lien entre les chansons, et je ne me contente pas de balancer une série de titres qui n’ont aucun rapport entre eux, que ce soit du point de vue musical ou de la thématique des textes. Jimmy Lee parle de mon frère, c’est un fait, mais pas seulement. Pour moi, Jimmy Lee est surtout une sorte de hashtag, un cadre dans lequel je m’exprime et c’est le thème de l’addiction sous toutes ses formes qui traverse cet album. Je suis issu d’une famille nombreuse et j’ai perdu beaucoup de mes frères et sœurs à cause de la drogue. Mon frère Jimmy est mort d’une overdose d’héroïne, et une de mes sœurs est décédée à cause du crack. Deux autres de mes sœurs ont été longtemps accros au crack, mais elles s’en sont sorties… Jimmy avait treize ans de plus que moi et nous avons toujours été très proches, nous parlions beaucoup. Il me parlait de la prison, de ses cambriolages et de la drogue. Étrangement, les moments que nous passions ensemble n’étaient jamais sombres, malgré son addiction. Jimmy Lee en est-il pour autant un concept-album ? Tout ceux qui entendront cet album pourront faire leur propre interprétation, à la manière des photographies que l’on fixe intensément et qui se mettent à bouger.

Dans Jimmy Lee, vous tournez le dos au son Motown de vos précédents albums. Est-ce le résultat de vos récentes collaborations avec Solange, entre autres ?
Oui, sans doute… Je joue pratiquement de tous les instruments sur cet album, et il y a pas mal de programmations sur Ableton mélangées à ses parties de synthés analogues. La présence de rappeurs d’aujourd’hui comme Kendrick Lamar, qui chante sur « Rearview », le dernier titre de l’album, renforce l’aspect contemporain des sonorités… Par certains côtés, Jimmy Lee me rappelle un peu Instant Vintage, mais ce nouvel album est beaucoup plus « pensé » en termes de production. Le mix et l’instrumentation sont de bien meilleure qualité et plus généralement, je trouve ce disque plus audacieux que mes précédents albums. Je sens que je me suis amélioré de disque en disque depuis mes débuts, et il m’a paru logique de m’éloigner de la vibe Motown.

Le son de Jimmy Lee est plus contemporain, mais on entend aussi l’influence de Sly Stone, de Stevie Wonder…
Sly n’est jamais très loin dans ma musique. Je ne pourrais pas le mettre de côté, même si j’essayais. Stevie devait apparaître dans Jimmy Lee, sur le titre « So Ready ». Il a joué un solo d’harmonica, mais nous n’avons pas réussi à l’enregistrer correctement. Je ne l’ai pas utilisé dans l’album, et à vrai dire, je n’ai même pas osé l’appeler pour le lui dire (rires).

Propos recueillis par Christophe Geudin

Raphael Saadiq Jimmy Lee (Columbia Records/Sony Music). Sortie le 23 août en CD, vinyle et digital. En concert au Festival Nancy Jazz Pulsations le 19 octobre et Paris (Elysée-Montmartre) le 21 octobre.